Le Chili et l’Argentine à l’honneur à LGDMTL
Soif d’ailleurs avec Nadia
Les 3, 4 et 5 novembre prochains, se tiendra la sixième édition de La Grande Dégustation de Montréal (LGDMTL), qui rassemble près de 200 vignerons, brasseurs et distillateurs et propose aussi des conférences et des animations thématiques sur les vins, bières et spiritueux. Cette année, le Chili et à l’Argentine seront à l’honneur.
Si votre image de ces deux pays d’Amérique du Sud est restée ancrée dans les années 1990, une petite mise à jour s’impose. Pour vous préparer un peu avant de vous aventurer à la Place Bonaventure et mieux apprécier votre expérience, voici un petit guide de « voyage » et quelques incontournables à découvrir le week-end prochain.
Le Chili à l’heure du terroir et de la fraîcheur
Ce qui se passe en ce moment dans le vignoble chilien est fascinant. Du nord au sud, un vent de renouveau souffle sur le pays. Rien à voir cependant avec la révolution technologique et œnologique qui avait permis de moderniser les méthodes de vinification dans les années 1980 et d’accroître la concentration. Au contraire, le mouvement observé sur place en 2008 et en 2014 a plutôt l’air d’un retour en arrière: des raisins cueillis moins mûrs, moins d’interventions au chai et aussi moins de bois neuf.
Souvent considéré comme le paradis de la vigne, le Chili profite à la fois du vent glacial du courant de Humboldt à l’Ouest et des brises fraîches venues des Andes à l’Est. Jadis orientées vers la plaine, où la vigne est inondée de soleil et où la viticulture est facilement mécanisable, les nouvelles plantations se font essentiellement dans les zones fraîches, le plus souvent en bord de mer et en altitude. Contrairement à la pensée populaire, ces deux derniers facteurs ont une plus grande incidence sur la viticulture que la latitude. Les vallées de Elqui et de Limari – pourtant située au 30° parallèle, juste au sud du désert d’Atacama – sont parmi les régions viticoles les plus fraîches du Chili.
Vallée de Limari: calcaire et chardonnay
Il y a à peine une dizaine d’années, les seules vignes que l’on trouvait dans la région de Limari – isolée à 400 kilomètres au nord de Santiago – étaient consacrées à la production de pisco, le spiritueux local. Il aura fallu plus de quatre siècles pour que l’on se mette à produire des vins de table significatifs.
Marcelo Retamal (De Martino) croit particulièrement au potentiel du chardonnay qui a trouvé un terrain de jeu rêvé sur les sols calcaires de cette terre aride où tombent en moyenne une centaine de millimètres de pluie par année. Et on a envie de le croire, nous aussi, quand on goûte son Chardonnay 2014, Legado, Reserve (18,55 $); frais, net et cristallin, il déploie en bouche une certaine salinité, sans doute attribuable à la proximité de la mer. Rares sont les chardonnays de ce prix qui font preuve d’une telle profondeur.
Lui aussi persuadé du brillant avenir du cépage bourguignon dans la région, Marcelo Papa, œnologue pour Concha y Toro, y élabore le Chardonnay 2014, Marques de Casa Concha (19,95 $); intense et pourtant très nuancé, rehaussé par une saine acidité et offrant une excellente tenue de bouche. À ce prix, il vaut bien des vins blancs du Mâconnais.
Valle de Aconcagua
En plus d’offrir un spectacle magnifique pour l’oeil, le mont Aconcagua, plus haut sommet des Amériques (6 956 mètres), fourni une immense quantité d’eau pour l’irrigation des vignobles. La vallée regroupe de nombreux microclimats dont la température moyenne varie selon la proximité de l’océan Atlantique.
Issu d’un assemblage de raisins de Pucalan (Aconcagua) et d’une petite proportion de raisins du secteur de Traiguén (Malleco), le Pinot noir 2014, Subsollum (24,95 $) du Clos des Fous se situe stylistiquement à mi-chemin entre un bourgogne générique et un pinot de Central Otago. Tout aussi savoureux que le 2013 commenté l’an dernier.
Errazuriz est un acteur majeur de la vallée de l’Aconcagua, avec huit vignobles qui s’étendent du pied des Andes jusqu’à l’océan Pacifique. Depuis une dizaine d’année, l’entreprise a multiplié les plantations sur la zone côtière, où la proximité de l’océan Pacifique apporte une brise fraîche, très favorable au pinot noir et aux cépages blancs.
Le Chardonnay 2014, Aconcagua Costa (22,95 $) continue de gagner en vitalité et en définition aromatique depuis sa mise en marché il y a quelques années. Plus complet encore, celui de la gamme Arboleda (19,95 $) déploie une trame aromatique élégante, habile mariage de minéralité, de gras et de vivacité. Les vignes de sauvignon blanc plantées en 2005 donnent pour leur part un Fumé blanc 2015 (14,95 $) nerveux et aromatique, sans la sucrosité qui afflige tant de sauvignons modernes.
Produite à l’intérieur des terres, sur les terres baignées de soleil de la vallée, le Don Maximiano 2013, Founder’s Reserve (80,25 $) reste le plus achevé de la gamme Errazuriz. Cette cuvée qui rend hommage à Don Maximiano, fondateur de ce domaine historique de la vallée de l’Aconcagua, est encore jeune et fougueux, mais il a la trempe des vins bons de garde.
Maipo, fief du cabernet sauvignon
Au sud de Santiago, cette région viticole est le berceau des grands vins chiliens. Le Cabernet Sauvignon 2013, Intriga (23,85 $) de Montgras est un très bel exemple du genre; assis sur une charpente tannique solide, il regorge de saveurs de fruits noirs. Beaucoup de vin dans le verre pour le prix.
Dans le peloton de tête encore cette année avec l’excellent Cabernet sauvignon 2014, Marques de Casa Concha (22,05 $) de Concha y Toro est coloré et structuré, sans aucune lourdeur ni sucrosité. N’hésitez pas à l’aérer en carafe ou à le laisser reposer en cave jusqu’en 2022.
Mais l’un de mes coup de cœur de l’année en matière de «cab» va sans hésiter au Cabernet sauvignon 2013, Legado (18,15 $) de De Martino. Ce vin m’a vraiment donné l’impression d’un voyage dans le temps, vers le début des années 1990, alors que les cabernets chiliens étaient comparés, avec raison, aux bons vins du Médoc. À moins de 20 $, on croit rêver.
Casablanca et Leyda, petite Bourgogne du Pacifique?
Situées au sud de Valparaiso, les vallées de Casablanca et de Leyda sont en développement constant depuis une vingtaine d’années. Leur climat océanique offrent les conditions idéales pour les cépages blancs, le pinot noir et la syrah.
À une dizaine de kilomètres de la côte, Montsecano est né d’un partenariat franco-chilien. Parmi les associés, le vigneron alsacien André Ostertag, qui a manifestement su adapter son savoir-faire au terroir de Casablanca. Issu d’un vignoble d’altitude, conduit en agriculture biologique, le Pinot noir 2015, Refugio (26,05 $) est plus achevé que tous les millésimes goûtés jusqu’à présent. Tanins soyeux et saveurs complexes, qui se dessinent avec une grande précision.
Comme toujours, le Pinot noir 2015, Reserva (16,40 $) de Cono Sur met l’accent sur le fruit et la texture suave qui fait tout le charme de ce cépage. Pas très costaud, mais franc et ouvert, avec de bons goûts de fraise des bois.
En blanc, on voudra goûter le Chardonnay 2015, Novas (18 $) produit par la maison Emiliana, chef de file chilien de l’agriculture biologique, et vinifié avec soin par Noelia Orts Agulló, brillante œnologue d’origine espagnole. Le vin est nourri d’une texture grasse, mais a manifestement tiré profit du climat frais de la région.
Le chardonnay de Garcés Silva fut l’un des premiers vins de la vallée de Leyda à conquérir les marchés internationaux, au milieu des années 2000. La dernière bouteille goûtée il y a environ 5 ans était lourde, copieusement boisé. Sans dire que le style a changé de façon radicale depuis, je dois avouer être agréablement surprise par le Chardonnay 2013, Amayna (19,95 $). Pas très complexe, mais plus harmonieux et d’une bonne longueur.
Vallée de Rapel (Colchagua)
La partie sud de la vallée de Rapel se caractérise généralement par des vins riches, puissants et structurés. Montes et Casa Lapostolle (Clos Apalta) ont élu domicile aux limites nord de l’appellation, dans le secteur très prisé d’Apalta. Située plus près de l’océan Pacifique, la zone de Marchihue produit des cabernets sauvignons conséquemment plus frais et moins riches en alcool.
Produit par Montgras, le Ninquén 2013, Mountain Vineyard (29 $) est le fruit d’un assemblage de syrah et de cabernet sauvignon à parts égales, provenant d’un vignoble d’altitude. Ninquén signifie d’ailleurs « le plateau sur une montagne » en dialecte mapuche. Un vin sérieux, compact et concentré qu’on peut le boire dès maintenant, mais qui n’atteindra son apogée que vers 2022.
Vallée de Itata
Berceau chilien du vin naturel, les régions de Maule et d’Itata offrent un contrepoids rêvé à la modernité. Ces deux régions méridionales misent avant tout sur des vignes centenaires de carignan, cinsault et país qui y donnent des vins aussi savoureux que singuliers.
Frappés par la sécheresse dans les régions viticoles les plus septentrionales, plusieurs acteurs importants de l’industrie viticole chilienne manifestent un intérêt croissant pour ces régions situées à environ 500 kilomètres au sud de la capitale, Santiago.
Parmi les rares cuvées disponibles à la SAQ, il faut retenir Pour ma gueule 2014 du Clos des Fous; très bon vin rouge vigoureux, assez charnu, mais pas spécialement tannique et gorgé de saveurs de fruits noirs. Un excellent achat à moins de 20 $.
Vous pouvez aussi profiter de votre visite au salon pour goûter aux vins hypers originaux que produit la maison De Martino dans la région. Ceux de la gamme Viejas Tinajas* – un muscat d’Alexandrie et un cinsault aux allures de morgon – sont fermentés, puis élevés dans des amphores de terre cuite pendant près d’un an. Élaborés sans additifs (enzymes ou levures sélectionnées), embouteillés sans filtration, avec un ajout minimal de soufre.
*En importation privée via l’agence Balthazard, qui sera présente au salon.
Argentine, le retour du balancier
Comme le Chili, l’Argentine est riche d’une longue tradition viticole qui remonte à l’arrivée des colons européens, au XVIe siècle. Jadis marqués par une influence européenne, les vins ont adopté depuis une quinzaine d’années un style beaucoup plus moderne, encensé par la presse américaine. Les cabernets sauvignons et malbecs de couleur d’encre, hyper flatteurs, parfois vanillés, riche en alcool et presque sucrés tant ils sont mûrs, abondent sur le marché. Ce style encensé par la presse américaine a charmé un très large public, au point d’occulter le reste de la production nationale.
L’Argentine dispose pourtant d’autres variétés fort intéressantes, comme le bonarda – qui, est en réalité le cépage douce noire – et le torrontés, cépage indigène qui est la source de vins blancs très aromatiques. Dans les provinces de Mendoza et de Salta, le malbec, mais aussi le cabernet sauvignon, le cabernet franc et le chardonnay peuvent donner de grands vins lorsque cultivés en altitude. Heureusement, depuis 2-3 ans, on observe le début d’un retour du balancier. Bien que généreux, les vins commentés ci-dessous font preuve d’une certaine «buvabilité» qui les rend plus agréable à table.
Mendoza, du malbec, du malbec, encore du malbec
La grande région de Mendoza regroupe un peu plus de 85 % de toutes les plantations de malbec du pays.
Pionnier de la révolution viticole argentine, très inspiré par la philosophie californienne, Nicolas Catena a fait sa marque en confectionnant des vins modernes et structurés. Sa fille Laura assure la relève et produit le Malbec 2014, fruit d’un assemblage de malbec provenant de quatre différents vignobles, situés entre 920 m et 1450 m d’altitude. Frais, mais assez solide pour plaire à l’amateur de malbec argentin classique. (21,95 $)
Produit par le fils de Nicolas Catena, Ernesto, le Alma Negra, M Blend 2014 est un assemblage très réussi de malbec et de bonarda (15 %). Généreux, mais pas débridé, le vin a du nerf et un relief aromatique plus nuancé que la moyenne régionale, comme si la bonarda lui apportait une dimension supplémentaire. (20,60 $)
La maison Norton, continue de réserver d’agréables surprises. Tant avec son Malbec 2012, Reserva (18,95 $) – droit, franc et équilibré – qu’avec le Malbec 2013, Barrel Select (14,95 $), généreux, gourmand, charnu et capiteux, sans verser dans la lourdeur.
Le domaine Diamandes, dans la vallée de Uco appartient à la famille Bonnie, également propriétaire du Château Malartic-Lagravière et du Château Gazin Rocquencourt, à Pessac-Léognan. Dans le contexte actuel du vignoble argentin, le Syrah – Malbec 2015, Perlita, Valle de Uco mérite une mention spéciale, ne serait-ce que pour sa droiture et pour sa nervosité, qu’on n’a pas tenté de gommer avec du sucre. (19,35 $)
Santa Ana, une vieille propriété familiale de Mendoza, est la source du Cabernet sauvignon 2014 La Mascota (17,95 $); rien de bien complexe, du corps et la vigueur tannique propre au cabernet. On souhaiterait que plus de vins argentins soient aussi digestes.
Vallées de Calchaqui
Dans la partie nord du pays, les secteurs de Salta, de Catamarca et de Tucumán composent les vallées de Calchaquí. Là-bas, à l’ombre du tropique du Capricorne, la vigne grimpe jusqu’à 3100 mètres d’altitude et peut donner des vins blancs fins, auxquels le cépage torrontes confèrent une originalité certaine. Chaque année, le Torrontes 2015, Reserve, Don David (17 $) est un modèle du genre; très bon vin d’apéritif aux parfums floraux.
Moins singulier, mais tout aussi réussi, la Syrah 2014, Reserve, Don David (16,95 $) est plein et charnu, mais il porte aussi la nervosité est le grain tannique compact d’une syrah de climat frais. À ce prix, on peut acheter les yeux fermés.
À votre santé et au plaisir de vous croiser à La Grande Dégustation de Montréal. L’équipe de Chacun son vin sera sur place tout le week-end au kiosque C25. Marc, Bill et moi animerons aussi quelques séminaires. On vous attend!
Nadia Fournier
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