Le Lièvre et la Tortue
Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau
Longtemps, la bière, au Québec, a été un phénomène surtout populaire, l’apanage des travailleurs — de la classe ouvrière, comme on disait naguère. Alors que le vin… ah le vin, c’est tellement différent, tellement plus raffiné, tellement plus… complexe.
Pas sûr qu’on pourrait impunément affirmer la même chose, aujourd’hui.
Le vin, certes, demeure une merveilleuse boisson. Mais la bière, la bière québécoise s’entend, quel bond de géant ces dix dernières années !
Nous sommes progressivement passés de deux ou trois grands styles et d’un marché détenu en quasi-totalité par une poignée de méga-brasseurs industriels, à un foisonnement de nouvelles microbrasseries et de nouveaux brassins.
Vous arrivez à suivre, vous ? Moi, c’est rendu que j’ai de la broue vous savez où.
Comme si, après tant d’années à rêver d’autres choses que la Labatt 50 ou la Molson Export, les amateurs et surtout les brasseurs maison avaient pété les plombs.
Oh, oui, bien sûr, la multiplication des bières — et pas que les très en vogue IPA avec leurs arômes racoleurs de pamplemousse, de mangue et de goyave — nous a ouvert un monde d’odeurs et de saveurs insoupçonné. Mais c’est parfois aussi un peu n’importe quoi, anything goes ou presque, l’important c’est de s’amuser, de brasser, d’essayer de nouvelles recettes, allez, que je te mette ça en cuve, on appellera ça le brassin XYZ et on fera dessiner une étiquette sautée, sans rapport, de l’illustration sauvage, une débauche de couleurs, yeah !
Le monde de la bière est tellement gamin…
Ces gars-là, ces filles-là, s’amusent en travaillant (quelle honte !), on dirait qu’ils n’ont pas de souci, la matière première est toujours là, sous la main ou presque, s’il manque de ci on remplacera par ça, point, suffit de modifier la recette un brin…
Alors que le vin, quoi qu’on en dise, c’est tellement plus… cérébral, plus sérieux et plus compliqué aussi, moins spontané et j’oserais même dire : moins instinctif.
Entre les deux mondes, souvent, mon coeur est partagé…
LA « SOLITUDE » DU VIGNERON
Il faut comprendre le vigneron.
Au contraire du brasseur qui travaille essentiellement une recette comme un cuisinier, il n’a quant à lui, pour l’essentiel, qu’un ingrédient de base avec lequel travailler : le raisin.
Alors que dans la bière, il entre du houblon, du malt, des épices souvent, des aromates de plus en plus, des fruits parfois, du jus de ceci, de cela, du thé, du café même – comme dans la Péché Mortel de Dieu du Ciel ! ou l’Imperial Stout de la brasserie Dunham.
Le vigneron, tout important et délicat soit son rôle, n’est au fond qu’un accoucheur, qu’un catalyseur. Qui, par surcroît, incommensurable différence, ne peut en règle générale s’exercer qu’une fois par année.
Alors que le brasseur n’en finit plus d’expérimenter, seule son imagination, et encore, peut le limiter.
C’est entre autres pour tout cela qu’au Québec, la bière locale est de plus en plus reine, qu’elle se distingue abondamment sur la scène internationale et qu’elle est en train, si ce n’est déjà fait, de détrôner le vin du cru.
Sauf que faire du bon vin, en règle générale et sans rien enlever à la folie créatrice de nos meilleurs brasseurs, c’est un peu plus complexe, la procédure est autrement plus, disons, alambiquée…
~
À boire, aubergiste !
Jean Foillard Beaujolais Collection Rézin 2014 (23,35 $) – Un très bon beaujolais cosigné Jean Foillard et Rézin, l’agence qui représente le domaine au Québec. Bien typé, léger et acidulé, superbe fruit, de la profondeur, du gras même, une texture suave. Bravo !
Qupé Syrah Central Coast 2012 (35,50 $) – Corsé, concentré, une bonne masse de fruit, une finale rappelant la mûre avec des accents floraux. Empreinte boisée marquée, quelques notes vanillées, mais à peine, l’ensemble s’avère à la fois costaud et avec de la fraîcheur.
Robert Mondavi Pinot Noir Napa Valley 2013 (31 $) – Très bon pinot noir californien provenant du secteur de Carneros, boisé intelligemment, sans que le fruit se retrouve écrasé sous les arômes vanillés, par exemple ; le vin a par ailleurs de la profondeur ainsi qu’une certaine élégance. Soupçon d’acidité volatile, qui rehausse l’ensemble.
Ruffino Riserva Ducale Oro 2011 (47 $) – Un assemblage composé pour l’essentiel de sangiovese (80 %), auquel s’ajoutent 20 pour cent de cabernet-sauvignon et de merlot. Le vin est corsé et concentré, passablement boisé aussi, et avec un goût de raisins secs. Finale à la fois boisée et épicée, relativement persistante.
Ravenswood Besieged Sonoma County 2014 (27,30 $) – Sympathique assemblage de cépages tels que la petite sirah, le carignan, le zinfandel et l’alicante bouschet. Le vin est généreux, légèrement capiteux et vanillé aussi (40 % de bois neuf durant 10 mois). Le fruit est bien présent, cela dit, et on note peu voire pas de sucre résiduel. Accord suggéré sur saq.com : avec les côtes levées. J’achète !
Limestone Hill Chardonnay Unoaked The Wetshof 2015 (16,95 $) – Très bon chardonnay sud-africain, au fruit mûr, tropical, et à la finale fumée. En clair, rondeur et générosité, fraîcheur également, si bien qu’on pourrait dire que son côté Nouveau Monde (4,3 g de résiduel) est bien assumé. Bon rapport qualité-prix.
Grande Cuvée Chablis 1er cru La Chablisienne 2013 (29 $) – Un premier cru pour ainsi dire générique, sans nom de climat ou de lieu-dit, issu d’un assemblage de jus, avant fermentation. Résultat : un chablis citronné et miellé, pas si vif mais pas mou non plus, avec une belle texture et aussi un peu de minéralité (pointe salée en finale). Le vin a du gras, par ailleurs, apportée par l’année (difficile) et la présence d’un peu de botrytis.
Marionnet Premières Vendanges Gamay Touraine 2014 (24,55 $) – Un rouge de la Loire sans sulfites ajoutés, mais qui ne revendique pas pour autant l’étiquette « nature ». Beaucoup de fruit dans ce gamay par ailleurs léger (12,5 pour cent d’alcool) et digeste, coulant au possible, la bouteille se vide en criant ciseau.
Marc
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