Les bons choix de Marc – Juin 2016
Chinoiseries, ou la politique de la bouteille unique
par Marc Chapleau
Comme si une tonne de briques me tombait dessus… Tout mon édifice qui menace de s’écrouler. Enfin, presque.
C’était au détour d’une conservation à bâtons rompus, avec un amateur de vin de fraîche date, rencontré dans une succursale de la SAQ.
Nous nous enthousiasmions à tour de rôle à propos de tel nouvel arrivage, de tel type de vin connu mais mal-aimé (notamment le tokay aszu, que j’avais dans mon panier), ce genre de choses, lorsque soudain, en abordant la question d’un pessac-léognan rouge que j’avais recommandé récemment ici même, sur Chacun son Vin, mon interlocuteur m’apprend qu’il a suivi mon conseil et en a acheté une bouteille, qu’il a sagement entreposée dans son cellier.
« Une bouteille ? Une seule ? Pas deux au moins, voire idéalement trois ou quatre ? »
— Non, répliqua-t-il tranquillement. Juste une, le prix est quand même assez élevé. C’est toujours ce que je fais. Comme ça, pour un même budget, je peux acheter et goûter plus de vins différents.
« Mais si vous aviez plus qu’une bouteille de chacune en cave, justement, vous pourriez suivre les vins, les regoûter après x années, pour revivre l’expérience ou savoir comment ils ont évolué… »
Et là, bang ! je m’aperçois, en lui faisant la leçon, que je ne fais moi-même que répéter ce que j’ai déjà lu et entendu et écrit, à maintes reprises qui plus est.
« Surtout pas de cave ne contenant que des bouteilles-échantillons, uniques, qu’on n’ose ouvrir de peur de les déboucher au mauvais moment ! » Je cite sauf erreur Michel Phaneuf, qui reprenait alors sans doute lui-même le précepte énoncé par quelque autre commentateur avant lui.
OUSTE, LES IDÉES PRÉCONÇUES !
Et pourquoi pas une telle réserve remplie de bouteilles qu’on ne possèderait qu’à un seul exemplaire ?
Surtout dans le cas des vins vendus autour de 100 $, qu’on n’ose plus acheter parce qu’en vertu de la fichue règle de trois, on en a pour 300 douilles minimum.
Je pense aux bourgognes entre autres, rendus tellement chers.
Quant aux objections, aux raisons qui feraient que cette idée folle ne tient pas la route :
— Disons qu’on a bien aimé telle ou telle bouteille, alors c’est bien dommage, mais cette bouteille unique éclusée, on ne pourra pas en principe retremper les lèvres dans ce vin une deuxième fois…
— Autre cas de figure, vous ouvrez quelque chose de très prometteur, de grand même selon tout ce que vous avez lu à son sujet, mais seulement pour découvrir que le bougre est fermé, qu’il ne sent et ne goûte pratiquement rien, et que vous voilà bien avancé parce que tough luck, vous n’en avez pas au moins une deuxième en réserve pour le regoûter dans trois ou quatre ans…
— Manque total de pot : la bouteille unique s’avère bouchonnée, et on n’en trouve plus sur le marché.
— Acheter plusieurs bouteilles d’un même vin permet de se prémunir contre d’éventuelles et fort probables hausses de prix ; plus les vins ont de l’âge, plus en théorie ils peuvent valoir cher.
— Enfin, on l’a dit tantôt, une grande partie du plaisir associé à la cave est de pouvoir suivre ses bouteilles, de les voir se transformer et si possible grandir, comme le feraient ses propres enfants…
THINK OUTSIDE THE BOX
Tout ça est bien vrai.
Mais peut-être aussi surfait, respecté plus que de raison.
Imaginez par exemple un cellier rempli de 300 bouteilles à peu près toutes uniques mais aussi de très bonne qualité, et de prix, d’appellations et de millésimes variés, de sorte que la variété est là et que tout ne mûrit pas en même temps.
On aurait tout de même l’embarras du choix, non ? Au lieu, disons, de 75 produits en quatre exemplaires, on pourrait puiser à deux ou trois cents crus différents !
Il serait alors quand même excitant de descendre à la cave, de tirer les bouteilles une à une de leur rangement, les yeux pétillant d’envie…
Et puis, à l’inverse, si un vin donné nous décevait franchement, on se féliciterait de n’en avoir acheté qu’un seul flacon.
Certes, dans tous les cas de figure, il faudrait aussi y aller au jugé, en estimant de manière approximative si un vin peut être ouvert et procurer un minimum de plaisir.
Mais bon.
Je ne saurais dire pour vous, mais l’approche candide de mon amateur néophyte me trotte encore personnellement dans la tête…
Et s’il y avait, effectivement, plus qu’une façon de voir les choses ?
~
À boire, aubergiste !
Chevalier d’Armajan Graves Blanc 2014 — Un bordeaux blanc nerveux, bien construit, pas trop boisé, tout en fraîcheur. À 19,90 $, un très bon rapport qualité-prix.
Kendall-Jackson « Avant » Sauvignon Blanc Californie 2013 — Je me préparais à ne pas aimer, je redoutais le sucre, la lourdeur ; or c’est généreux, certes, le fruit est bien présent, même tropical, mais c’est aussi étonnamment vif, et plutôt sec. Environ 23 $.
Château Cazal-Viel Saint-Chinian Vieilles Vignes 2014 — Excellent rapport qualité-prix ! Un rouge du Languedoc très fruité, moyennement corsé, avec un reste de gaz carbonique, et une finale poivrée et épicée, qui témoigne de la présence (60 pour cent) de syrah. Son prix : 13,90 $.
Château d’Esclans Rock Angel Rosé Côtes-De-Provence 2014 — Un rosé à 42 $ ! De la profondeur, du nerf, pas de sucre résiduel, 14 pour cent d’alcool. Excellent.
Riguardo Brunello di Montalcino 2010 — Très bon brunello, rouge toscan à base de sangiovese, prêt à boire, engageants arômes de raisins secs et d’épices, belle fraîcheur. Prix : 40,25 $ (Et c’est Riguardo, en passant, pas Ricardo.)
Morgante Nero d’Avola Bianco 2014 — Tiens tiens, un nero d’avola blanc ! Richesse, fraîcheur, rien de compliqué, c’est en un sens tout en rondeur, mais ça demeure bien tonique en bouche. Prix : 18,90 $
Domaine Rijckaert Les Sarres Côtes-Du-Jura 2012 — Excellent blanc du Jura, fin et épicé, d’une belle élégance. Superbe acidité par ailleurs, qui laisse la bouche bien fraîche ! Prix : 25,60 $
Ardal Reserva Seleccion Especial Ribera del Duero 2010 — Puissant, costaud, boisé mais aussi bien soutenu par son acidité. D’Espagne, un bon candidat pour le steak grillé, au degré de cuisson qu’il vous plaira. Prix : 31,50 $
Borsao Tres Picos Garnacha 2014 — Coloré, concentré, vanillé, au fruité par ailleurs bien mûr, capiteux (15 pour cent d’alcool) mais néanmoins pourvu de fraîcheur. Dans le style costaud et exubérant, très bien fait. Prix : 22 $
Geyerhof Grüner Veltliner 2014 — Excellent blanc bio autrichien à base de grüner veltliner, vif et minéral, avec une pointe fumée tant en bouche qu’au nez. Près de 5 g de résiduel mais il n’y paraît presque pas. Finale sur la lime, tout en fraîcheur. Prix : 24,30 $
Marc
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