Les bons choix de Marc – mai 2016
Hors du Médoc, le salut
par Marc Chapleau
« La différence entre le Médoc et notre région des Graves et plus spécifiquement l’appellation Pessac-Léognan ? Il n’y a pas vraiment de vin puissant, ici. Ou, comme le disait le regretté Jean Saunders, jadis aux commandes du Château Haut-Bailly, nos vins évoquent la musique classique, alors qu’au nord, à Pauillac, Saint-Estèphe, Saint-Julien et cie, c’est plus de la musique militaire… »
Tristan Kressman, copropriétaire du Château Latour-Martillac, énonce cela avec le sourire, très doucement, sans condescendance.
Or pour avoir sillonné les deux régions, j’aurais tendance à leur donner raison.
Pas que tout le Médoc respire l’aisance et la suffisance, loin de là. Sauf que le secteur viticole qui commence juste aux portes de l’agglomération de Bordeaux, au sud, a effectivement des allures pour ainsi dire plus campagnardes, moins glamour.
J’ai justement passé quelques jours dans ce secteur des Graves, tout récemment (après une virée dans le Sauternais sur laquelle je reviendrai bientôt – quand la saison du homard sera solidement installée, par exemple).
Deux couleurs valent mieux qu’une
Autre avantage des Graves et de la sous-région de Pessac-Léognan, c’est qu’on y produit non seulement de très beaux rouges, mais également de superbes blancs, parfois même plus percutants et souvent vendus plus chers.
J’en veux pour preuve, notamment, le Domaine de Chevalier blanc. Issu d’un assemblage de sauvignon et de sémillon (sé-mi-yon), à l’instar de la majorité des graves blancs, ce dernier a une étonnante capacité de vieillissement, comme en a témoigné le 1990 dégusté là-bas et encore dans une très belle forme — quoique évolué et légèrement miellé, bien évidemment. Même constat, moins dense que le Chevalier mais plus tendre, avec l’excellent Latour-Martillac blanc 1995.
Malgré ces atouts, la production régionale ne jouit pas de la même notoriété, à l’international, que celle des vins du Médoc. En revanche, sur le marché intérieur, c’est une autre histoire. « Les Bordelais adorent nos vins », indique Tristan Kressmann.
Donner le temps au sémillon
Nous sommes également passés (j’étais avec mes deux héritiers) chez Carbonnieux, où Philibert Perrin, l’un des deux fils aux commandes, nous a fait goûter des rouges plutôt délicats, très bien structurés tout de même, ainsi, là aussi, que d’excellents blancs, boisés juste assez, tout en fraîcheur et en intensité. Des blancs surtout marqués par le sauvignon en jeunesse, comme pour l’ensemble des vins de l’appellation ; mais, comme le précise M. Perrin, « avec le temps, et le vieillissement, le sémillon va se révéler ».
Au Château Pape-Clément, l’un des quatre grands crus classés que possède le magnat Bernard Magrez (Ma-grè), un type en veston-cravate nous accueille. Le Médoc n’est pas très loin, me dis-je alors in petto, un peu méchamment.
D’autant plus intempestif comme jugement que l’homme en question, Augustin Deschamps, Director of development – Grands crus Classés pour le holding, est aussi oenologue et pas barbant pour deux sous. Les vins qu’il représente ont également fait très belle figure – finie, semble-t-il, l’époque où Pape-Clément était boisé et baraqué. Chose certaine, le 2015, dégusté en primeur, a un fruit mûr et dense, le boisé est bien sûr encore marqué, à digérer, mais il y a de la tension dans tout ça, de la minéralité, et la persistance est excellente. Même constat pour le 1988, dépouillé, qui commence, après bientôt 30 ans, à s’unidimensionnaliser, mais le caractère épicé et minéral est toujours là — et le taux d’alcool qui dépassait alors à peine les 12,5 pour cent…
Chez Malartic-Lagravière, outre le caractère très allumé de Jean-Jacques Bonnie, fils du propriétaire, nous avons notamment retenu un étonnant rouge 1999, à point mais avec encore une poigne d’enfer et un superbe tonus.
Sacré Bob Parker !
Notre tour d’horizon s’est terminé au Château Haut-Bailly, un des rares grands crus classés de Pessac-Léognan à ne pas élaborer de vin blanc.
« Nous n’avons tout simplement pas le terroir pour », explique Yann Monties, le directeur technique adjoint.
Qu’à cela ne tienne, Haut-Bailly élabore de très beaux rouges. Mais leur prix s’est récemment envolé, fais-je remarquer à notre interlocuteur. En substance, celui-ci de nous confirmer alors qu’avec la note de 100 pour cent accordée par le gourou Robert Parker au 2009, les tarifs ont monté.
Une anecdote, à ce propos. Avant l’obtention de ce score parfait, le propriétaire de Haut-Bailly, le banquier américain Robert Wilmers, avait promis aux employés que s’ils gagnaient un jour le gros lot à la loterie du Wine Advocate, il payait le voyage à New York à tout le personnel, soit près de 25 personnes. De la D.G. au jardinier !
La cuisinière qui nous servait le repas ce soir-là, au château, avait encore du brillant dans les yeux en se rappelant ce voyage de quatre jours tous frais payés dans la Grande Pomme.
Comme quoi, le méchant Parker, il a vraiment fait beaucoup, beaucoup d’heureux…
P.-S. Un mot sur le Château de Chantegrive, naguère bien présent au Québec. Certes, les vins sont en appellation graves, et non dans celle, plus réputée, de pessac-léognan. Sauf que la qualité est néanmoins très bonne, et les prix sont à l’avenant. Peut-on espérer en revoir un jour en magasin, même à l’occasion d’une vente ponctuelle, un nouvel arrivage Cellier, par exemple ?
P.-P-S. La comparaison qui tue, selon des chiffres communiqués par Olivier Bernard, propriétaire du domaine de Chevalier et président de l’Union des grands crus classés de Bordeaux : un hectare de vignes à Pauillac coûte actuellement 2 millions d’euros ; le même hectare à margaux, 1 million d’euros ; dans le Pessac-Léognan, la moitié, soit 500 000 euros ; enfin, dans le Sauternais, éternel parent pauvre du Bordelais, l’hectare revient, une misère, à environ 50 000 euros…
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À boire, aubergiste !
Quelques pessacs-léognans en vente à la SAQ.
Les folies, d’abord : Château Haut-Brion 2010. Grand vin déjà étonnamment accessible. Au nez, et si on goûte à l’aveugle, les notes viandées donnent à penser qu’il y a de la syrah dans l’assemblage. Il n’en est évidemment rien, le vin est un bordeaux on ne peut plus classique, riche et généreux, épicé, à la finale rafraîchissante. Ah oui, j’oubliais, le prix : 1 570 $ les 750 ml. Autrement dit, 63 $ l’once, ou encore 250 $ le verre de 120 ml. Excusez du peu…
Puis Bahans Haut-Brion 1996 (269 $ – mais il a 20 ans) Je n’ai pas goûté récemment ce second vin du grand Haut-Brion, mais on en trouve encore quelques bouteilles en SAQ Signature. Si vous achetez, publiez ensuite votre commentaire sur CSV, on vous lira !
Du côté des pessacs plus abordables, mentionnons d’abord le Château Latour-Martillac 2010 à 54 $ : goûté là-bas voilà quelques semaines seulement, encore bourré de potentiel et une aubaine, compte tenu du prix actuel des grands bordeaux. J’ai fait provision dès mon retour, perso !
La bonne affaire : Château de Cruzeau 2011 rouge. Assemblage cabernet sauvignon – merlot mi-corsé, souple et rond cependant que la composante boisée est (pour l’heure) manifeste et bien marquée. Un caractère digeste et facile à boire, à défaut de charpente tannique conséquente.
Un vin que j’ai goûté voilà deux ans et qui me semblait à l’époque prometteur : Chateau La Garde 2010
Des collègues de Chacun son Vin / Wine Align ont pour leur part bien aimé le Domaine de Chevalier 2010 ainsi que le Clos Marsalette 2011. Ce dernier vin, qui fait partie de l’écurie du Comte Von Neipperg (Canon La Gaffelière, à Saint-Émilion), constitue en règle générale un bon rapport qualité-prix, à un peu plus de 40 $.
Marc
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