Vins canadiens : goûter à l’aveugle pour mieux voir
par Rémy Charest
Avec plus de 1400 vins soumis par plus de 200 domaines provenant d’un océan à l’autre, les juges ne manquaient pas de boulot, fin juin, alors qu’ils étaient réunis à Niagara Falls pour le 15e Concours des meilleurs vins canadiens (les National Wine Awards of Canada). L’effort en vaut vraiment la peine : pour moi comme pour l’ensemble des juges, ce rendez-vous annuel est une occasion exceptionnelle de prendre le pouls d’une industrie qui commence à atteindre une véritable maturité et qui offre des vins de classe mondiale.
La dégustation des vins se fait à l’aveugle, ce qui permet, au final, de voir plus clair dans tout ça. À goûter sans savoir si tel pinot vient de l’Ontario ou de la Colombie-Britannique, de tel grand domaine ou de tel petit vignoble, on évalue de façon plus objective ce qui se fonctionne et ce qui est moins réussi, d’une catégorie à l’autre. À la fin du concours, les juges reçoivent un cartable où ils peuvent finalement savoir l’identité des vins qu’ils ont goûté personnellement : c’est toujours un mélange de satisfaction, de surprise et… de leçon d’humilité. Les coups de cœur ne viennent pas toujours d’où on les attend.
Pour tous les goûts
La diversité des styles mis en valeur par le jury est impressionnante. Parmi les lauréats, le style mesuré, précis et poli du domaine de l’année, Mission Hill, avec le plus grand nombre de vins lauréats, côtoie les chardonnays naturels de chez Norman Hardie, qui ont raflé deux médailles platine et qui lui ont valu une place au top 10 des petits domaines les plus primés. Au palmarès, des vins plus modernes côtoient des cuvées d’approche peu interventionniste, des vins chaleureux, mûrs et amples sont primés au même titre que des vins mettant en valeur la minéralité, l’acidité et la vivacité.
Les syrahs, rieslings, chardonnays, cabernets francs et pinots noirs continuent de très bien faire, mais voici que deux gamays et des assemblages rhodaniens, tant en blanc qu’en rouge, se retrouvent aussi primés en platine, une catégorie réservée au 1% des vins qui ont reçu les meilleures notes, après deux rondes de dégustation, parfois trois. Du côté des médailles d’or, on trouve aussi du zweigelt, de l’albariño, du viognier, du pinot gris et même du merlot (bien que ce cépage donne des résultats assez décevants, de façon globale, à l’échelle canadienne). Si des gens vous disent qu’ils ont du mal à trouver des vins canadiens à leur goût, c’est probablement parce qu’ils n’ont pas cherché bien loin.
(Pour voir l’ensemble des résultats, par type de médaille et par catégorie, avec la liste des domaines les plus primés, ainsi qu’une série d’articles sur divers aspects du concours, cliquez ici.)
Quelques coups de cœur
Parmi mon palmarès personnel, mes deux plus hautes notes ont été au Cabernet franc Coyote’s Bowl de la maison Church and State, très belle expression du cépage, toutes régions géographiques confondues, comme par le Riesling Triangle Vineyard de Thirty Bench, complexe, tendu, énergique à souhait et bon pour des années et des années en cave. Un de mes vins canadiens préférés, d’année en année, à l’aveugle ou pas.
Juste derrière, parmi mes notes les plus hautes, on trouve aussi bien un gewurztraminer hyper expressif mais sans aucune lourdeur, celui de l’excellente maison Wild Goose que des bulles très classiques de chez Blue Mountain, ou encore que le gamay de chez Malivoire, qu’on pourrait mettre côte-à-côte avec un chiroubles ou un fleurie, sans aucune hésitation, à mon avis.
Parlant de gamay, ceux de chez 13th Street et du Château des Charmes ont également fait le bonheur des jurés, montrant que le cépage a beaucoup de potentiel en Ontario – et aussi en Colombie-Britannique.
Du côté du Québec
Je me suis également réjoui que le jury, à l’aveugle, ait récompensé de médailles d’argent deux vins du Vignoble Les Pervenches, soit leur Chardonnay Les Rosiers et leur Seyval-Chardonnay. Ce n’est pas nouveau qu’on célèbre le talent de Michael Marler et de Véronique Hupin, pionniers de la viticulture québécoise, mais c’est bien de le confirmer de cette façon. Le chardonnay est un des cépages qui réussit le mieux au Canada : le fait qu’un domaine québécois parvienne à se tailler une belle place au palmarès montre qu’on peut obtenir d’excellents résultats, au Québec, à condition d’y mettre l’attention, la minutie et le savoir-faire requis.
Parmi les autres lauréats québécois, signalons le Cidre de feu du Domaine Labranche, lauréat d’une médaille d’or, ainsi que le mousseux d’érable du même domaine, qui a remporté une médaille de bronze. Un petit coup de chapeau également au vin de paille du vignoble Le chat botté, tout à fait original, au Poiré de Glace du Coteau Rougemont et au Brochu de La Vallée de la framboise, heureux assemblage de framboise et de cassis, tous trois médaillés de bronze.
Une raison de se réjouir, dans l’ensemble des catégories, est que le prix des vins lauréat est souvent très raisonnable : parmi les médailles platine, la fourchette est entre 18 et 35$! Voilà un 1% qui peut plaire à au moins 99% de la population, quoi! Reste à souhaiter, d’un point de vue québécois qu’un plus grand nombre de vins canadiens trouvent une place sur les rayons de la SAQ, afin de représenter toute la diversité et la qualité de ce qui se fait aussi bien en Ontario qu’en Colombie-Britannique ou en Nouvelle-Écosse.
Grand prix canadien des vins du monde
Les domaines d’ici et d’ailleurs auront une autre occasion de faire valoir la qualité de leurs cuvées lors du Grand prix canadien des vins du monde (les World Wine Awards of Canada), qui auront lieu à la fin du mois à Toronto. Les inscriptions sont présentement en cours! Tous les détails pour s’incrire sont disponibles ici. Un point de consolidation est disponible au Québec, cette année, et les vins primés profiteront d’une visibilité accrue au Québec, grâce à l’auditoire de plus en plus nombreux de Chacun son vin.
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