Les bons achats de Marc – mars
L’Australie n’est plus ce qu’elle était… Yeah !
par Marc Chapleau
J’arrive de Vancouver. Enfin, voilà déjà deux semaines mais c’est comme si c’était hier. Quatre jours au toujours très sympathique et rondement mené Vancouver International Wine Festival, probablement le salon du vin le plus intéressant à se tenir au Canada.
L’Australie était le pays à l’honneur, cette année. J’ai donc pu goûter, dans le cadre de la grande dégustation ouverte au public mais aussi durant des séminaires très courus, plusieurs vins provenant de là-bas.
Un certain joueur, bien connu des Québécois, en a profité pour tenir, en marge du festival, son propre événement. Il s’agit de la winery Wolf Blass, qui tenait pour la 3e année son Master Blend Classification.
Le concept, dans les grandes lignes : les gens de Wolf Blass, l’oenologue en chef Chris Hatcher en tête, réunissent dans une salle une douzaine de palais experts et leur font déguster, à l’aveugle, une trentaine de vins rouges à base de cabernet sauvignon provenant d’un peu partout au monde — et du millésime 2010, pour cette troisième édition.
Chérie, pince-moi !
Résultat : un type comme moi s’est trouvé assis devant une flopée de verres contenant des premiers grands crus de Bordeaux et donc les Latour, Margaux, Haut-Brion et compagnie, des supertoscans comme Ornellaia et Sassicaia, ces icônes californiennes que sont Opus One, Dominus et Harlan Estate, les wannabe chiliens Seña et Almaviva, et cetera.
Et aussi, bien sûr, quelques assemblages de l’hémisphère austral, dont le Wolf Blass Black Label. Mais pas que celui-là : aussi le Felix Vasse Heytesbury (le meilleur vin du Nouveau Monde ce jour-là avec une 9e place), le Henschke Cyril Henschke, et même un Te Mata Coleraine, ce dernier de Nouvelle-Zélande.
Le but, officiellement : « Établir une hiérarchie parmi les plus réputés assemblages à base de cabernet-sauvignon ». Dont les très grands bordeaux évoqués tantôt, « reconnus partout dans le monde comme les modèles du genre », précisent les organisateurs.
Les résultats, tout de suite : Château Latour a mené le peloton d’une bonne tête – suivi par, groupés et avec pratiquement le même score, Montrose, Haut-Brion et Cos d’Estournel.
Très honorable Wolf Blass
Le vin de la maison qui organisait l’événement, le Wolf Blass Cabernet Sauvignon Black Label (qui contient du reste 49 % de shiraz), est arrivé en milieu de peloton, à la 18e place. Mais avec un score très honorable de 89 %, ex aequo avec les canons que sont Pichon-Lalande et Mouton-Rothschild, et assez loin devant Sassicaia et le Montebello de Ridge, arrivés en 26e place.
Alors que dans d’autres dégustations similaires, comme le Berlin Tasting organisé par les Chiliens d’Errazuriz, les étalons de l’écurie nationale se retrouvent souvent sur le dessus du panier. Pas de ça ici avec nos amis australiens, qui se sont par ailleurs volontiers inclinés devant le verdict.
Il faut dire qu’ils avaient dès le départ peu à perdre, puisque leurs vins sont vendus beaucoup moins chers que les vedettes bordelaises, toscanes et californiennes. Si bien qu’en matière de rapport qualité-prix, on trouve son compte avec l’Australie — et aussi de manière générale avec le Chili, bien que les cuvées chiliennes haut de gamme soient un peu plus dispendieuses, et bien que j’aie, personnellement, moins bien noté les cabernets de ce pays.
Refaire l’exercice, je serais curieux de plutôt comparer une série de 30 vins vendus en gros le même prix. Et donc, si on pense à l’étalon de mesure qu’est Bordeaux, à des crus classés plus modestes, vendus sous la barre des cent dollars, voire à de solides crus bourgeois.
Il n’en demeure pas moins que les gens de Wolf Blass, qui ont déboursé environ 20 000 $ de vin pour ce seul après-midi, ont à la fois du culot et du courage. Chose certaine, ils ont pris tout ça avec philosophie, de manière relaxe et posée, avec humour aussi — à l’australienne, quoi.
Pas de pitié !
L’aveugle est ordinairement implacable pour les très grands crus, qui ont souvent besoin de s’inscrire dans la durée pour être judicieusement évalués, et qu’on devrait boire au bout de 20 ans pour voir combien ils ont, ou non, tenu la route.
Quant aux notes traditionnellement basses accordées dans ce type d’exercice, les juges sont en cause : nous craignons tellement de nous ridiculiser en donnant 95 % à un vin à 25 $ qu’on a tendance à scorer bas, comme on dit. Je blague, à peine.
Cela dit, il ne s’agissait pas d’une véritable aveugle. Dans le sens où nous, les dégustateurs, savions que tous les gros canons du monde entier étaient rassemblés devant nous.
Or normalement, surtout dans un millésime où l’acidité est notable comme 2010 dans le Bordelais, les vins français auraient dû moins bien paraître, moins d’emblée charmer que leurs contreparties non européennes. Mais ça n’a pas été le cas, au contraire !
Peut-être le signe, comme l’a suggéré un dégustateur, que les vins européens (réchauffement aidant) ont de plus en plus des airs de Nouveau Monde. Alors qu’à l’inverse, les Australiens mais aussi les Californiens, notamment, s’efforcent de produire des vins moins baraqués, moins vanillés aussi, que par le passé.
À boire, aubergiste !
Bon, après ce long aparté, je reviens à mes moutons : l’Australie, disais-je dans mon titre, n’est plus ce qu’elle était. Effectivement, peu de bombes riches et alcoolisées goûtées à Vancouver, la fraîcheur est au rendez-vous très souvent – à défaut parfois, il est vrai, de complexité. Mais quand le prix est bon, la proposition est très honnête. Voici une sélection parmi les vins australiens qu’on trouve à la SAQ, si vous souhaitez tirer vous-même les choses au clair.
Jansz Tasmania Premium Cuvée – Un très bon mousseux australien – de Tasmanie, plus précisément –, légèrement brioché et pas trop sucré, bien nerveux par ailleurs.
Thorn Clarke Sandpiper Pinot Noir/Chardonnay – Un mousseux très satisfaisant, un peu sucré (10,5 g de résiduel), mais d’autre part on note une certaine richesse ainsi qu’une bonne acidité. Pris avec des huîtres nature arrosées de quelques gouttes de jus de citron… rien à redire !
Wolf Blass Gold Label Chardonnay Adelaide Hills 2012 – Élaboré par les soins d’une maison à la fiabilité maintes fois éprouvée, un chardonnay australien boisé mais avec du tonus, tout à fait recommandable.
Yalumba The Y Series Viognier 2013 – Un viognier de bonne tenue, bien typé et assez riche, pas le plus nerveux mais l’équilibre est préservé.
Yalumba Bush Vine Grenache 2013 – Un bon rouge de la vallée de la Barossa au fruité marqué et avec des notes vanillées et épicées.
Yalumba The Guardian Shiraz/Viognier 2010 – Au nez, la syrah poivrée australienne s’impose, tandis qu’en bouche, le côté généreux ressort, soutenu par une acidité marquée. À 22,20 $, on fait une bonne affaire.
Wolf Blass Gold Label Shiraz 2012 – Un Shiraz boisé et plutôt racoleur, qui ne fait pas dans la dentelle, mais néanmoins savoureux et équilibré. Vaut son prix (25 $).
Two Hands Gnarly Dudes Shiraz 2011 – Typé shiraz australien (menthe et eucalyptus au nez), les saveurs suivent, pas compliquées mais bien marquées, agréable pointe saline en finale.
Deen de Bortoli Vat Series Durif 2012 – Un rouge puissant, pour ainsi dire à l’ancienne. Dès l’abord, la couleur est foncée, violacée. En bouche, l’alcool est notable (14 %) mais le jupon ne dépasse pas, comme on dit, cela reste équilibré et par ailleurs bien pourvu en fruit.
Santé !
Marc
P.-S. Grosse fin de semaine en vue pour les amateurs de vin de la capitale québécoise – et tous ceux qui s’y rendront. Du 13 au 15 mars, le Salon international des vins et spiritueux de Québec battra son plein au Centre des congrès. Quelque 75 exposants seront au rendez-vous et feront déguster près de 1 500 produits, des plus rares aux plus connus, tandis que des conférences et ateliers se succèderont tout le weekend. D’ici samedi, notre chroniqueur Rémy Charest publiera des billets sur le blogue de Chacun son vin afin de souligner les meilleures choses à voir, à entendre et à goûter là-bas.
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