Soif d’Espagne
Soif d’ailleurs avec Nadia
par Nadia Fournier
Lorsque j’ai terminé mes études collégiales en langues, il y a presque 15 ans de cela, je n’avais qu’un souhait en tête: découvrir l’Espagne. Histoire de mettre en pratique quelques acquis linguistiques certes, mais surtout d’explorer le pays et sa culture, qui m’avaient été si bien racontés par mes deux magnifiques enseignantes.
J’ai finalement pris un billet pour Paris. C’était moins cher. Le hasard et les rencontres m’ont par la suite menée dans la campagne française, en Suisse, en Italie, en Angleterre, au Portugal, mais très peu en Espagne. Tout au plus quelques semaines à Barcelone, sur deux années de pérégrinations.
Ma résolution pour 2015 donc, découvrir l’Espagne, enfin!
Ça tombe bien, j’y suis en ce moment même, en vous écrivant ces lignes. À Barcelone plus exactement, où je revisite les œuvres d’Antoni Gaudí, les multiples restaurants de la ville, le marché Boqueria, ses jambons ibériques et ses étals de poissons…
Physiquement à Barcelone, mais la tête un peu dans les nuages, une mer de nuages. De ceux qui planent autour du Teide – El Teide –, le géant qui veille sur les habitants de Tenerife, la plus grande des Îles Canaries.
El Teide: mystique, majestueux, vital.
En survolant l’île de Tenerife, on ne peut manquer d’être impressionné par l’immensité du Teide, le plus imposant des nombreux volcans des Canaries, qui culmine à 3718 mètres d’altitude, ce qui en fait la troisième plus haute structure volcanique au monde et plus haut sommet d’Espagne. On est aussi frappé par l’intensité de l’attachement qu’ont les habitants de l’île pour leur montagne, qui évoquent son énergie, son esprit, ses vertus apaisantes et y effectuent des pèlerinages fréquemment.
Ils ont raison, car sans le Teide, l’île de Tenerife aurait une allure bien différente. Le volcan, avec son auguste stature, donne naissance à une foule de formations météorologiques, dont certains incidence capitale pour la survie de l’agriculture sur l’île. Les vents alizés, par exemple, soufflent depuis l’Atlantique Nord et sont chargés de vapeur d’eau. Lorsqu’ils se heurtent à la crête du volcan qui sépare l’île d’ouest en est, les vapeurs se refroidissent, se condensent et précipitent, le plus souvent sous forme de pluie, sur le versant nord du Teide. Vu des airs, le résultat est époustouflant. D’un côté, une végétation luxuriante, de l’autre, privé de cet apport en eau, un paysage désertique.
Aux Canaries, oubliez le bikini
Au moment de faire mes valises, la température annoncée pour Santa Cruz de Tenerife était de 24°C. J’ai donc prévu des vêtements de printemps, osant même la gougoune. Après tout, l’île se trouve à peine à quelque 300 kilomètres au large du Sahara. Vous devinez ma surprise quand à l’aéroport, j’ai vu mes hôtes qui frissonnaient malgré leurs manteaux d’hiver !
En revanche, l’amateure de vin en moi était tout de même rassurée. Parce que la vigne dans le Sahara… Et j’étais surtout très curieuse de découvrir ces phénomènes météo qui rendent la destination d’autant plus fascinante.
D’une partie à l’autre de l’île, on passe facilement d’un climat tropical à un quasi nordique. De Saint-Domingue à Saint-Jean de Terre-Neuve en une demi-heure de voiture. Imaginez le contraste ! On compte littéralement des centaines de variations aussi subtiles que dramatiques entre les différents secteurs de l’archipel, selon l’altitude, l’humidité ressentie, l’exposition aux vents dominants, etc. Pas étonnant que chaque île possède sa propre dénomination d’origine et qu’à elle seule, l’île de Tenerife en regroupe cinq, toutes pertinentes.
Mais j’y reviendrai la semaine prochaine. Pour vous parler de Lanzarote, du cépage listán negro et du 7 Fuentes, premier vin des Canaries à la SAQ, qui fera son entrée dans le cadre du prochain magazine Cellier.
En attendant, quelques vins de la « Péninsule », comme on dit sur les îles. En commençant par deux très bons vins de Catalogne. Délicieux et gorgé de soleil, le Buil & Giné, Giné 2012, Priorat est issu de très vieilles vignes de grenache et de carignan et mis en valeur par un usage modéré de la barrique. Très pur et caressant, riche en tanins et assez persistant.
Mas Doix, Priorat 2012, Les Crestes
Un vin que l’on croque autant que l’on boit, tant il a de matière; vibrant, authentique et musclé, mais dont on ne cesse d’avoir soif.
Le développement accéléré de l’appellation Ribera del Duero a eu pour conséquence une certaine dilution de l’offre, de sorte que les vins ne remplissent pas toujours leurs promesses. En d’autres mots, le meilleur côtoie souvent le quelconque.
Pour éviter les déceptions, mieux vaut éviter les supposés « vins cultes » de création récente et se fier à la réputation de producteurs comme Alejandro Fernandez. Contrairement à de nombreuses stars de l’appellation, Fernandez poursuit son chemin, imperméable aux modes. À des lieues des bombes fruitées et copieusement boisées qui attirent l’attention des gourous américains, ses vins procurent plutôt un plaisir sincère à table.
Même s’il est déjà très facile à apprécier, son Condado de Haza 2010 pourra aisément reposer en cave jusqu’en 2017. Déjà savoureux, le Pesquera Crianza 2011 a les atouts nécessaires pour vieillir gracieusement jusqu’en 2018, au moins. À ce prix, on peut même faire des réserves.
Située tout au nord de l’Espagne, entre la Galice et la Rioja, la petite appellation Bierzo a le vent dans les voiles depuis une dizaine d’années. Principal outil des vignerons, le cépage mencia est aussi connu sous le nom de jaen dans la région du Dão. Après avoir étudié l’œnologie à Valence, Raúl Pérez est rentré à Bierzo, où il a repris un vignoble appartenant à sa famille depuis 1750. Cette année encore, j’ai adoré le caractère un peu sauvage et la puissance contenue de son Bierzo 2010, El Castro de Valtuille.
Et la Rioja, enfin!
Ijalba s’est donné pour mission de préserver le patrimoine viticole de la Rioja en réintroduisant des variétés comme le graciano et la maturana tinta, que plusieurs avaient arrachés au profit du populaire tempranillo. Capiteux, le Graciano 2012 en mène large en bouche, sans toutefois manquer de tonus. Beaucoup de vigueur et d’élan fruité.
En plus de vins rouges étoffés destinés à la garde, Artadi propose le Tempanillo 2012. La Rioja sur un mode étonnamment friand, juteux et gourmand, présenté dans une bouteille coiffée d’une capsule vissée, un fait assez rare pour l’appellation.
Le Reserva Seleccion Especial 2010 de Muga m’avait laissée sur ma soif l’année dernière. Un an plus tard, le vin me donne l’impression d’être nettement plus harmonieux; bien structuré sans être inutilement concentré ni boisé.
Dans un autre ordre d’idée, saviez-vous que chaque année, Muga utilise 80 000 blancs d’œufs pour coller ses vins rouges, un processus de clarification largement répandu ? Vous imaginez la mayonnaise pour récupérer les jaunes !
Salud!
Nadia Fournier
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