Les bons choix de Nadia – Janvier

Château Simard : la petite histoire d’une transaction
par Nadia Fournier

Nadia Fournier

Nadia Fournier

Si vous êtes un amateur de vin à l’affut d’aubaines, vous n’êtes pas sans savoir que la SAQ propose, depuis le 3 janvier dernier, une vente éclair – près de 40 % de rabais – sur cinq produits sélectionnés. Parmi ce lot, deux millésimes du Château Simard, propriété peu connue de Saint-Émilion, qui avaient déjà fait l’objet d’une autre vente à rabais lors du vendredi noir, soit un mois plus tôt.

La SAQ ne nous ayant pas habitué à de tels cadeaux, même pendant la période des Fêtes, plusieurs y ont vu anguille sous roche. Pourquoi donc ces vins sont-ils écoulés à rabais ? Et pourquoi cet empressement de notre monopole d’état à vendre ces lots ?

En juillet 2008, ce vaste domaine d’une quarantaine d’hectares, voisin du Château Canon La Gaffelière a été acquis par Alain Vauthier – copropriétaire du prestigieux Château Ausone – qui l’a repris de son défunt oncle, Claude Mazière.

Sur le blogue de la SAQ, on apprend que Claude Mazière était de ces rares vignerons « à vouloir laisser vieillir en cave chaque millésime », afin de vendre ses vins à parfaite maturité. On peut aussi y lire que les bouteilles des millésimes antérieurs se sont accumulées et que « la vente en masse de ces cuvées par l’intermédiaire de vastes canaux de distribution devint essentielle pour poursuivre la redynamisation du Château. »

Vous devinez la suite…

Il n’en fallait pas plus pour que les vins de Château Simard déferlent sur le Québec comme un véritable raz-de-marée. En tout, 50 000 caisses, 600 000 bouteilles! C’eût été un sauvignon blanc sucré ou un White Zinfandel, j’aurais compris, mais de vieux vins de Saint-Émilion…

À quoi donc ont pensé les acheteurs de la SAQ ?

Un seul mot : Twist

Dès 2009, la SAQ a obtenu une exclusivité canadienne pour le Château Simard, alors qu’auparavant, l’exclusivité nord-américaine était réservée à l’État de New York. Le premier arrivage, mis en vente dans le cadre de la promotion du magazine Cellier, proposait quatre millésimes (1990, 1998, 2000 et 2005) et avait reçu un accueil très favorable. Les stocks s’étaient bien vendus, les amateurs étaient heureux.

Puis, en 2010, la SAQ a officiellement lancé TWIST, société en commandite (SAQ, Fonds de solidarité FTQ, Fondaction CSN) développée pour chapeauter les activités commerciales de la SAQ sur les marchés internationaux.

Fort du succès commercial des vins de Château Simard au Québec et constatant la soif apparemment intarissable du peuple chinois pour les vins de Bordeaux, la SAQ a saisi l’opportunité et conclu une entente avec M. Vauthier, afin que TWIST agisse à titre de grossiste exclusif pour Château Simard en Chine, un marché hautement convoité.

Le risque n’était pas bien grand après tout. 50 000 caisses, ce n’est guère plus qu’un apéritif pour un pays qui compte un milliard d’habitants. Malheureusement, TWIST n’a pas fait long feu (ou fait long feu, c’est selon). Et la SAQ a été contrainte de vendre ses parts de l’entreprise en septembre dernier, après avoir enregistré des pertes de 7 millions pour l’année 2013-2014.

Cependant, avec ou sans TWIST, la SAQ ne pouvait se soustraire à ses engagements auprès de M. Vauthier et risquer de ternir sa réputation sur la place de Bordeaux. En cette matière, « nos relations d’affaires sont tout aussi importantes que nos relations clients », précise Linda Bouchard, responsable des relations de presse à la SAQ.

Une décision qui honore leur sens des affaires, mais qui laisse un gros poids sur les bras. Parce 50 000 caisses de vin, ça pèse.

Et le vin, il est comment ?

Le premier arrivage, mis en vente dans le cadre de la promotion du magazine Cellier, proposait donc quatre millésimes : 1990, 1998, 2000 et 2005. Toutes d’excellentes années dans la Gironde. Selon mes notes de dégustation de l’époque, de bons bordeaux de facture classique, assez fidèles à leur appellation et vendus à un prix tout à fait correct.

En revanche, la qualité des vins des commandes qui ont suivi était plus hétérogène. Les uns accusaient une certaine fatigue. Les autres, une fatigue certaine.

De toute évidence, ce nouvel arrivage ne fait pas autant l’unanimité que les précédents. Ce qui a fait couler un peu d’encre (juste assez, mais pas trop) sur les réseaux sociaux au courant de la dernière semaine. Le blogue de la SAQ suggère pour sa part qu’il s’agit d’une « excellente occasion d’en orchestrer une réserve à bon prix ou une dégustation verticale. »

Sur le principe, je n’ai rien contre. Il y a là une occasion pour l’amateur de vin de flirter avec de vieux millésimes, sans trop se ruiner. Mais est-ce l’affaire du siècle? J’en doute.

Château Simard 2006 Château Simard 2001Les deux bouteilles de 2001 ouvertes en décembre étaient défraîchies : couleur tuilée, nez de fumée, de fruits secs; bouche un peu osseuse, dépourvue de chair. Somme toute, un peu court et de qualité moyenne, pour un prix trop élevé. Avant le rabais de près de 40 %, s’entend.

En revanche, je serais plus clémente avec le 2006. Faisant abstraction de l’appellation – et des attentes qu’elle commande – j’ai dégusté trois bouteilles de ce vin aux côtés d’autres bordeaux vendus sous la barre des 20 $. Résultat : deux des trois bouteilles se situaient dans la moyenne supérieure; l’autre était un peu terne et manquait de fruit.

À vrai dire, je n’étais pas surprise. Car tous les vins de Saint-Émilion ne naissent pas égaux et avec le même potentiel de garde. Cette hétérogénéité s’explique d’une part par la vaste taille du vignoble (5 500 hectares), mais surtout par le fait qu’il existe deux AOC dans la région de Saint-Émilion : Saint-Émilion et Saint-Émilion grand cru. Les deux couvrent la même aire géographique, mais la seconde répond à des conditions plus strictes, notamment un rendement plus limité et un élevage minimum de 12 mois.

La bonne nouvelle, c’est que M. Vauthier avait déjà entamé une restructuration du vignoble et des chais de Château Simard dès le millésime 2006. Et que les améliorations qui ont accompagné ce changement de garde ont permis à la propriété d’accéder au statut de saint-Émilion grand cru à compter du millésime 2008.

À suivre…

D’autres bons vins pour commencer l’année

Dupéré Barrera Cuvée India Bandol 2011

Côtes de Provence rouge 2011, NowatDupéré Barrera Nowat 2011 – La Québécoise Emmanuelle Dupéré et le Français Laurent Barrera élèvent soigneusement leurs vins et signent des cuvées impeccables provenant de Provence et du sud de la vallée du Rhône. Le couple est aussi propriétaire du Clos de la Procure, situé à 30 km à l’est de Bandol. Leur cuvée Nowat, est élaborée par intervention manuelle seulement, sans avoir recours à l’électricité.

Bandol 2011, Cuvée India – Ce vin compte encore parmi les meilleurs bandols dégustés cette année. Une mention spéciale pour sa tenue en bouche, comme pour son potentiel de garde. Dégusté sur deux jours, le vin était nettement plus complexe le lendemain. Une aération en carafe ou quelques années en cave seraient avisées.

L’Italie, du sud au nord

Rivera, Nero di Troia 2011, Violante, Castel del Monte – La famille De Corato est l’un des leaders de cette appellation des Pouilles. Ils produisent entre autres ce bon vin rouge très méditerranéen, gorgé de soleil, mais ne pesant guère plus de 13 % d’alcool. Une autre preuve qu’avec les bons cépages plantés au bon endroit…

Castello di Ama, Haiku 2009, Toscana – Haïku : poème japonais en trois temps, souvent simple et intimement lié à la nature. Un nom qui sied parfaitement à ce nouveau vin de Castello di Ama, tant pour sa composition (trois cépages : sangiovese, merlot et cabernet franc) que pour ses lignes épurées.

Marion, Cabernet sauvignon 2010, Veneto – Inspiré de l’Amarone, ce cabernet sauvignon est issu en grande partie de raisins très mûrs récoltés dans les 10 premiers jours d’octobre et mis ensuite à sécher pendant plus d’un mois. Un vin hors norme, à la fois très mûr, aussi dense que bien des vins de Napa et pourtant débordant de fraîcheur.

Rivera Violante Nero Di Troia 2011 Castello Di Ama Haiku 2009 Marion Cabernet Sauvignon 2010 Foradori Granato 2010

Foradori, Granato 2010, Vigneti delle Dolomiti – Depuis qu’elle a repris le vignoble familial, il y a une trentaine d’années, Elisabetta Foradori a largement contribué à la réhabilitation du teroldego, un vieux cépage, dont on vantait déjà les mérites dans des textes publiés en 1480 ! Déjà excellent l’année dernière, son Granato 2010 était dans une forme spectaculaire lorsque goûté de nouveau en septembre dernier. D’où la note parfaite – et rarissime – de cinq étoiles.

D’autres vins pour les huîtres

Louis Moreau, Chablis Premier cru Vaulignot 2012 – La famille Moreau a vendu la maison de négoce J. Moreau à Jean-Claude Boisset il y a près de 20 ans. Les parents de Louis Moreau ont cependant conservé de belles parcelles de vignes, sur lesquelles il veille depuis 1994, en plus d’agir à titre de président du comité interprofessionnel des vins de Chablis. Sans surprise, son Vaulignot est d’une impeccable pureté en 2012.

Lafond, Claude; Reuilly 2012, Le Clos des Messieurs – La minuscule appellation de Reuilly couvre à peine 185 hectares à l’ouest de Sancerre et de la ville de Bourges. Claude Lafond y élabore un bon vin blanc, de facture classique, vineux et relevé. D’autres sauvignons plus modernes sont plus aromatiques, mais celui-ci a un style distinctif et assez authentique.

Louis Moreau Chablis Vaulignot Premier Cru 2012 Domaine Claude Lafond Le Clos Des Messieurs 2012 Quartz Reef Methode Traditionelle

Quartz Reef, Brut, Méthode Traditionnelle – En Nouvelle-Zélande, au sud de l’île du Sud, le secteur de Central Otago est la source d’excellents vins tranquilles de pinot noir. Il semblerait que le climat frais de la région soit tout aussi approprié à l’élaboration de vins mousseux complexes. Celui-ci s’appuie sur un assemblage de pinot noir et de chardonnay cultivés en biodynamie et a profité d’un élevage sur lies de 24 mois. Excellent à l’apéritif, avec des huîtres bien charnues, mais assez substantiel pour accompagner un plat de viande.

Jura, en camaïeu

Domaine De Montbourgeau l'Étoile 2011

Dugois, Daniel; Arbois 2011, Trousseau, GrévillèreDomaine Daniel Dugois Trousseau Grevillière 2011 – Grâce à sa mosaïque de terroirs et à sa biodiversité, le Jura est la source de vins éminemment variés, dont la palette de saveurs uniques n’a pas d’égal en France ni ailleurs dans le monde. La famille Dugois en est un digne représentant. D’amblée, pas très attrayant avec son étiquette datant d’une autre époque qui rend hommage à Henri IV, grand amateur des vins d’Arbois. Ne vous fiez pas aux apparences, car sous cette allure un peu vieillotte se cache un vrai petit trésor!

Domaine de Montbourgeau, L’Étoile 2011 – Cette curiosité jurassienne est l’antithèse du vin blanc « grand public ». Avec son nez de levure et de noix, frais et oxydatif à la fois ; Une bouteille à déguster autour de 12 °C et à savourer lentement, à la fin du repas, avec un fromage comté. Un accord régional exquis !

À votre santé!

Nadia Fournier

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