Les bons choix de Marc – Octobre
Sésame, ouvre-toi !
par Marc Chapleau
Sacré vin, va ! On n’en finit plus de l’aimer, de jouer à cache-cache avec lui. D’essayer de le cerner, de le comprendre ou encore de le démasquer, si on le goûte à l’aveugle – cette dernière activité s’avérant, du reste, un formidable jeu de société, auquel tous les amateurs devraient s’adonner sur une base régulière.
Ne croyez pas, par ailleurs, ceux qui vous disent qu’avec lui ce n’est pas compliqué, que tout s’apprend en criant pinot. Parole de vieux scout, il m’arrive encore souvent d’être perdu et de chercher mon chemin. D’être déboussolé face à telle ou telle bouteille — ou telle ou telle carte des vins bourrée d’importations privées…
Si bien qu’il faut aimer souffrir pour prendre son pied dans le vin. Souffrir que messire nous botte le derrière et se moque de nous, même si on a des décennies d’expérience derrière la cravate. Or, contre toute attente, c’est le fun. On en redemande, même. Un bon signe ; autrement, on serait blasé.
Sauf que parfois, on n’a pas envie de jouer.
Parfois, on souhaiterait plutôt que le vin se livre d’emblée, sans nous obliger à toutes sortes de contorsions et d’expédients…
Désolé, on ferme !
On recevait à souper. Pour accompagner le risotto aux champignons sauvages et au canard, j’ai d’abord hésité. Toscane ? Piémont ? Rhône ? Finalement, je décide d’y aller pour le Mas Jullien 2005, un coteaux-du-languedoc qui dort dans mon cellier depuis six ou sept ans.
Je le sers à l’aveugle aux convives et notamment à un certain loustic qui s’avère être mon fils Julien, lequel, si ça continue, aura bientôt plus de bouteilles que moi — mais bon, je réglerai ce cas-là une autre fois.
Tour de table avec la carafe, les quatre verres remplis, moment de silence, l’assemblée se recueille, qu’est-ce qu’il a bien pu nous servir, l’animal…
Moi le premier, même en sachant ce que c’est, je patauge et tourne autour du pot. Ce n’est vraiment pas évident.
— Bordeaux ? avance Junior.
— Tss tss, que je réponds.
Il replonge dans le verre, le fait tourner, hoche la tête, ferme un instant les yeux puis les rouvre en souriant.
— Ok, je pense que je sais… encore un de tes Mas Jullien qui ne s’ouvrent jamais, c’est ça ?
Petit maudit !
Et l’épithète pourrait s’appliquer tant à fiston qu’au vin lui-même.
Parce que, attendez ! je l’avais pourtant carafé énergiquement, avec force éclaboussures, un bon quatre heures auparavant.
Je sais, je sais : j’aurais dû le faire le matin même, voire la veille. Le pauvre, il avait encore besoin d’air, c’est demain qu’il s’ouvrira.
Peut-être. Sauf que, hé, c’est ce soir le souper !
Du plaisir, là, tout de suite…
Il y a des limites à la fermeture — même si oui, je sais évidemment ça aussi, c’est souvent la marque des vins sérieux, le contenu d’une bouteille gagne quasi toujours à respirer un peu, cela même pour les petits vins, et patati, et patata.
N’empêche que le Mas a gâché la partie, ce soir-là. Comme si le plaisir des sens, relativement immédiat, avait dû céder le pas au plaisir intellectuel, à l’obligation de « comprendre » le vin et au plaisir, finalement, vécu par procuration, imaginé et pressenti plus que réellement ressenti.
Alors que tout ce que je voulais, c’est boire une très bonne bouteille sans me creuser la tête, pour une fois…
À boire, aubergiste !
Philosopher un peu n’empêche pas d’être raccord : mes suggestions de bonnes bouteilles viennent donc elles aussi toutes du Languedoc, cette semaine.
Plus précisément, il s’agit de vins qui bénéficient de l’appellation « Indication géographique protégée Sud de France », laquelle regroupe un paquet de vins du Languedoc et du Roussillon mais à l’exclusion, notamment, des « vins de pays d’oc » — essentiellement pour des raisons d’ordre technique et politique qu’il me reste encore à élucider.
Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, peu importe la dénomination, à peu près tout ce qui vient de ce coin de pays est habituellement d’un très bon rapport qualité-prix.
~
Deux beaux blancs, pour commencer.
Le Domaine La Croix Belle « Le champ des Lys » 2012 vient du secteur des côtes de Thongue : s’il est discret sur le plan aromatique, il parle davantage en bouche, avec sa finale à la fois saline et croquante. Plus cher, plus sérieux aussi et avec le potentiel pour vieillir quelques années, le Mas de Daumas Gassac Blanc 2012 est riche et corsé ainsi que marqué par de belles notes d’agrumes.
En rouge, on a encore une fois l’embarras du choix.
À petit prix, le Domaine de Moulines Merlot 2011 déborde de fruit et de notes poivrées, avec de la fraîcheur en prime. Plus costaud, plus tannique et plus rugueux, le Domaine Magellan Ponant 2010 appelle la viande rouge, même assez relevée.
Le Domaine de Gournier Cuvée Prestige 2013 constitue encore un excellent achat, cette année : concentré et généreux, et tout en rondeur. Moins connu, le Enseduna Prestige Foncalieu 2011 est corsé et nerveux, marqué par d’attrayantes notes de garrigue (odeurs d’herbes et d’épices, essentiellement).
Pour terminer, à tout seigneur tout honneur, le Mas de Daumas Gassac Rouge 2011. Encore une fois au-dessus de la mêlée, pas donné à plus de 40 $, mais le prix est mérité. Un assemblage d’inspiration bordelaise fruité et charpenté, à la texture bien serrée.
Si jamais l’envie vous prenait de jouer un peu… vous pourriez carafer ce dernier et voir s’il se développe à l’aération.
Santé !
Marc
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