Les bons choix de Nadia – L’été des rosés
Éloge de la buvabilité
par Nadia Fournier
Chaque lundi matin, presque religieusement, je lis Andrew Jefford. J’aime son propos tout en nuances. J’aime la justesse de ses observations sur le monde du vin.
Lundi dernier, dans son billet hebdomadaire publié sur le site du magazine britannique Decanter, Jefford y allait d’une Lettre ouverte à un jeune dégustateur, à qui il prodiguait quelques conseils, rappelant d’abord que le vin, avant toute chose, est fait pour être bu, pas dégusté.
Il abordait aussi le thème de la concentration, soulignant qu’il s’agit quant à lui d’une vertu surévaluée, puisqu’elle peut aisément être générée de manière artificielle. Il introduisait aussi la notion encore un peu floue de « buvabilité » (“drinkability” dans le texte).
« La buvabilité, est une preuve – peut-être la preuve la plus significative – de l’harmonie, une vertu esthétique cardinale. »
Les chroniques d’Andrew Jefford sont toujours pertinentes et agréables à lire, mais celle-ci m’a d’autant plus interpellée que je l’ai lue au moment même où je rédigeais mes notes sur les rosés de l’été 2016.
À une époque où le vin est trop souvent mesuré selon des critères de puissance et de concentration, plusieurs en viennent obligatoirement à considérer le rosé comme un vin maigre, une sorte de rouge raté. C’est drôle, mais pour moi, c’est précisément le contraire. Je vois dans le rosé une leçon de minimalisme et de retenue.
Par définition, il a moins de couleur, moins de corps et moins de tanins qu’un vin rouge, mais il ne faut pas le juger ou l’apprécier sur ces critères. Un bon rosé classique se fait avant tout valoir par sa délicatesse, sa pureté et son équilibre. Ce n’est pas un vin de dégustation, mais un vin de soif, une boisson de plaisir à savourer sans trop intellectualiser.
Cette année, la SAQ a quelque peu corrigé les lacunes des derniers étés en important une belle sélection de vins rosés de France et d’ailleurs dans le monde. Pour vous accompagner tout au long de la belle saison, voici mes favoris. Tous élaborés avec sérieux, mais à boire sans complexe. C’est l’été, relaxez!
La Provence, toujours la Provence
Il y a plus de 2500 ans, les Grecs produisaient du vin entre Marseille et Nice. Comme le vin rouge n’a été inventé qu’au 17e siècle, on en déduit qu’il s’agissait certainement du rosé. Le rosé n’est donc pas une création commerciale moderne, mais un pur produit de la tradition provençale, au même titre que le pastis et la pétanque. Aujourd’hui, il compte encore pour 88 % de toute la production viticole régionale.
Pour la première fois à la SAQ, le Côtes de Provence du Domaine Jacourette Sainte-Victoire 2015 (19,30 $), est un bel exemple du genre. Typiquement provençal, tout à fait sec, mais issu de raisins mûrs et gorgés de soleil; un heureux mariage de gras et de minéralité, garante de vitalité.
Dans la lignée des derniers millésimes, le rosé 2015 du Château de Miraval (21,15 $) affiche une couleur très pâle; sec et un peu nerveux, sa texture rappelle celle d’un vin blanc de Provence.
Quoique moins aromatique que par le passé, le Pétale de Rose 2015 (21,65 $), grand classique provençal, est une autre belle réussite pour Régine Sumeire. Les inconditionnels y retrouveront la texture vineuse et les saveurs délicates qui ont fait son succès.
Plus abordable, les rosés du Vieux Château d’Astros et Domaine Houchart (17,50 $) sont un peu moins complets, mais dotés d’un bon équilibre d’ensemble. Tout à fait recommandables à moins de 20 $.
Le reste de la France
En France, la consommation de vin rosé ne cesse de progresser et a quasiment triplé depuis 1990. L’engouement pour le rosé dépasse les frontières de l’Hexagone puisqu’au cours des 10 dernières années, on notait une progression de l’ordre de 15 % à l’échelle mondiale. Même si la Provence fournit 35 % de la production nationale de vin rosé, d’autres régions de France s’y consacrent avec sérieux.
Stylistiquement à mi-chemin entre un rosé et un vin rouge léger, le Rosé 2015, Côtes Catalanes (18,40 $) de Ferrer-Ribière est tout à fait typique d’un rosé du Roussillon: très coloré, généreusement fruité, avec une excellente tenue. Le parfait exemple d’un rosé conçu pour la table et vendu à un prix attrayant.
Tout aussi coloré, le Tavel 2015 du Domaine du Vieil Aven (18,90 $) a toute la structure et l’intensité aromatique attendues dans un vin de cette appellation rhodanienne. Pour l’apprécier à sa juste valeur, servez le à table.
Également du Rhône mais dans un tout autre registre, le Pink 2015, Vin de Table du Domaine du Pégau (20,45 $) risque de laisser sur leur soif les amateurs de rosé fruité et facile puisqu’il présente des odeurs animales inhabituelles, avec une fin de bouche quelque peu astringente. Malgré cela, un très bon vin original qui pourra donner de beaux accords à table. Arrivée prévue vers la mi-juin.
Le Buti Nages 2015 (15,95 $) de Michel Gassier est tout à fait à la hauteur des attentes cette année encore. Tout comme le Pic St-Loup 2015 du Château de Lancyre (17,45 $); l’un des bons rosés de l’été dans le réseau. Très sec et de couleur pâle, il offre une bonne tenue en bouche et des saveurs plus près du minéral que du fruit. Aussi expressif en bouche qu’au nez, Le Rosé 2015 (19 $) de François Chartier ne déçoit pas; de bons goûts de fruits rouges et de fleurs blanches, portés par une texture nourrie.
Et le reste du monde
Dans le même esprit de fraîcheur et de légèreté que les meilleurs rosés de Provence, le Dão Rosé 2015 d’Alvaro Castro (18,40 $) est impeccable! Une minéralité qui appelle la soif, des saveurs fruitées très nettes et un léger reste de gaz qui confère une agréable fraîcheur à l’ensemble.
Produit par la même cave coopérative que le célèbre Monasterio de las Viñas, le El Circo, Payaso 2015, Carinena a tout le naturel fruité de la garnacha, sans sucre ni saveurs bonbon. Rien de complexe, mais vendu à prix juste. (11,90 $)
Terminons par ce côté-ci de l’Atlantique avec le Terre Rouge Vin Gris d’Amador 2014, un rosé californien composé de grenache et de mourvèdre. Un vin idéal pour la table; à retenir pour sa texture, plus que pour son fruité juvénile.
Du Québec, Le Rosé Gabrielle 2015 (16,05 $) du Vignoble Rivière du Chêne est tout aussi recommandable dans sa version 2015. Sec, agrémenté de goûts de fruits des bois et tonifié par une bonne dose d’acidité, ce qui le rendra d’autant plus agréable à l’apéro.
Et je laisse le mot de la fin au Rosé 2015 du Domaine St-Jacques qui reprend non seulement le dessus après un certain fléchissement en 2014, mais qui m’a semblé plus achevé que jamais. Moins coloré que par le passé, il offre toujours une bonne tenue en bouche, avec un grain un peu plus fin, plus délicat et un fruité expressif. À ce prix, on achète sans hésiter.
Santé! Bon été!
Nadia Fournier
Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 60 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de bons vins !
Publicité