Soif de « nature »
Soif d’ailleurs avec Nadia
Pour la deuxième année consécutive, la SAQ met en marché une sélection printanière de vins nature, c’est-à-dire biologiques et élaborés avec un minimum de manipulations et un apport réduit, sinon nul, en soufre. Le monopole d’état répond ainsi à une demande sans cesse grandissante pour ce type de produit, particulièrement auprès d’une nouvelle génération d’amateurs de vin. Mais pourquoi les vins natures sont-ils si populaires?
Si je me fie à ce que j’observe sur le terrain – dégustations professionnelles, bars à vin, conversations autour du comptoir de cuisine – je serais portée à croire que leur succès repose essentiellement sur trois choses.
D’abord, l’attrait du bio. À moins d’avoir vécu dans une grotte pendant les 20 dernières années, on ne peut qu’être sensibles aux arguments de l’agriculture biologique. En cette matière, le vin nature pousse encore plus loin puisque, en plus d’être issu de raisins bios – enfin, la catégorie n’étant pas encore définie par des règles strictes, ce n’est pas toujours le cas, hélas! – il est élaboré sans ajout de correctifs œnologiques, avec une dose minimale de soufre. Élaboré dans les règles de l’art, c’est ni plus ni moins que du jus de raisin fermenté, simplement.
Ensuite, et je sais que cet argument ne fera pas l’unanimité, j’y vois un désir de se démarquer de ses prédécesseurs. Dans ma jeune vingtaine, lorsque j’habitais en France, la plupart des jeunes de mon âge n’avaient aucun intérêt pour le vin. Le vin, ça faisait « vieille France », c’était la boisson de leurs parents. Plutôt boire des whisky-coca – même à table – que de ressembler à ses parents. Au Québec, même tendance, mais un peu plus modérée. Pour se démarquer de leurs parents, adeptes de régions françaises et italiennes classiques, les jeunes adoptent des vins de régions nouvelles, de vignerons émergents, parfois à tendance nature.
Enfin, et c’est là, à mon avis, la plus évidente des raisons, les vins natures sont populaires parce qu’ils sont bons. Pas toujours, mais souvent.
J’entends déjà ses détracteurs s’amuser de leurs défauts. C’est vrai qu’ils en ont. Mais limiter le vin nature à ses seuls défauts est pour le moins réducteur et tient presque de la mauvaise foi.
Plus je navigue dans cet univers fascinant et complexe qu’est le vin, moins je crois aux étiquettes, aux catégories, aux camps qui divisent. Vrai, il existe des vins natures tellement défectueux qu’ils en sont imbuvables. Vrai, il existe aussi nombre de vins à tendance commerciale qui sont d’un ennui mortel, quand ils ne sont pas complètement ruinés par un abus de bois ou par un reste de sucre.
Vrai, trop de procédés œnologiques peuvent tuer l’expression du terroir. Tout comme les déviations bactériennes et la prolifération de la macération carbonique à toutes les sauces, sur tous les cépages et dans toutes les régions.
Entre ces deux pôles, il existe une foule de vignerons rigoureux qui n’ont que faire des étiquettes qu’on veut bien leur accoler et qui souhaitent une seule chose : faire du vin, du bon vin. Des jusqu’au-boutistes qui s’appliquent à traduire le goût du lieu d’origine de leurs vins. Sincèrement, sans raccourcis, sans maquillage. À mon sens, c’est ça le vin nature. Juste ça.
On a soif !
Parmi les quelques vins sélectionnés cette année, le Chiroubles 2014 de Christophe Pacalet, neveu de Marcel Lapierre, l’un des pionniers du mouvement nature. Issu de vignes de gamay âgées de 90 ans et fruit d’un excellent millésime dans la région, le vin est très invitant au premier nez. Déjà si séduisant, avec sa vitalité, son caractère vibrant et ses couches de saveurs fruitées et épicées, mais on pourrait aisément le mettre en cave jusqu’en 2020. Le meilleur vin de Chiroubles que j’aie goûté depuis longtemps. (27,55 $)
Toujours en France, mais du côté de Bordeaux, on propose le Cyrus 2010, un 100 % cabernet franc produit au Château Lagarette, une propriété des Côtes de Bordeaux cultivée en biodynamie. Encore passablement boisé, il mériterait de reposer en cave quelques années. (24,25 $)
Pour l’apéritif, l’amateur de Vouvray voudra absolument découvrir le premier vin du Domaine Sébastien Brunet à la SAQ. Son Vouvray Brut 2013, méthode traditionnelle, est impeccable. De légères notes oxydatives au nez pourraient faire craindre un manque de fraîcheur, mais la bouche est équilibrée, sans le moindre signe de fatigue, portée par une bulle fine, distinguée. (24,30 $)
On voudra aussi découvrir l’excellent Masieri 2014, élaboré par Angiolino Maule et ses fils, dans les collines de Gambellara, à l’est de Vérone. Assemblée à du trebbiano, la garganega puise dans les sols volcaniques de Vénétie une expression aromatique singulière et une structure digne de mention. Une belle bouteille pour s’initier à prix doux aux charmes du vin nature. (21,45 $)
À moins de 20 $, on propose aussi un bon Chianti Puro 2014, pour accompagner les pâtes pou la pizza. Pas de maquillage inutile, mais une expression inaltérée du sangiovese; fruité, vif et fringant. (19,95 $)
Enfin, dernier vin de cette promotion, le Barunieddu 2013 de l’azienda Biscaris, en Sicile. Intéressant dans un registre plus corsé que la moyenne des vins de frappato. (21,65 $)
Les petits extras…
Six vins « natures », c’est bien, mais c’est un peu limite. Je vous en donne quelques autres – peut-être même de meilleurs – goûtés au cours des derniers mois.
Commençons d’abord avec deux vins de frappato, parce que celui commenté ci-haut m’a laissée, je l’avoue, sur ma soif.
De l’aveu d’Arianna Occhipinti – la star de la viticulture sicilienne –, le Frappato 2014 – Tami est un vin : « 100 % raisins ». C’est-à-dire qu’il est vinifié sans additifs ni élevage sous bois, afin de laisser s’exprimer toute l’essence aromatique du cépage frappato, une curiosité du sud de la Sicile. À 20 $, une aubaine à saisir tant qu’il y en aura en succursales.
Après l’élève, le maître : Giusto Occhipinti, l’oncle et le mentor d’Arianna. Co-propriétaire de COS, où il produit des vins d’une pureté et d’une race peu communes. Son Frappato 2014 est un modèle du genre : vibrant, gouleyant, léger comme une plume et pourtant complexe, avec un large spectre de saveurs fruitées, épicées, herbacées, minérales. Belle bouteille! (30 $)
Dans le même registre de goût, mais en France, du côté du Beaujolais, le Morgon 2014 de Jean Foillard est arrivé sur les tablettes tout récemment. Élève du regretté Jules Chauvet et de l’école du sans soufre, Jean Foillard est un nom important de l’appellation Morgon. Ses vins sont raffinés, élégants et habituellement dotés d’un excellent potentiel de garde. Son 2014 est l’une des belles réussites des cinq dernières années.
Situées à Saint-Jean d’Ardière, tout près de Belleville, les vignes du Château Cambon ont en moyenne une cinquantaine d’années et sont classées en AOP Beaujolais, mais elles jouxtent les appellations Morgon et Brouilly. Propriété de Jean-Claude Chanudet et de Marie Lapierre, la mère de Camille et Mathieu, le domaine a donné un très bon Beaujolais 2014, coulant, juteux, gorgé de saveurs affriolantes de fruits rouges. Un vin de caractère. (23,45 $)
Surveillez aussi de près l’arrivée du Château Cambon Rosé vers la mi-mai. Goûté lors d’une visite en France en février dernier, le 2015 était tout à fait délicieux. Saveurs ciselées, précises, délicates et un équilibre idéal entre le gras et la fraîcheur. (23,25 $)
Santé!
Nadia Fournier
Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 60 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de grands vins!