Le charme concret de la bourgeoisie
Hors des sentiers battus19 juin 2015
par Marc Chapleau
J’arrive de Bordeaux, où j’avais été invité pour présider le jury de la Coupe 2015 des crus bourgeois.
Quand on m’a demandé de prendre la parole lors de la remise du prix au gagnant (excellent et solide Château Lilian Ladouys), j’ai entre autres parlé du bordeaux bashing qui est à la mode, depuis quelques années.
En gros, ai-je laissé tomber du haut de ma tribune, et surtout à notre époque où le vin « nature », le plus dépouillé possible, a la cote, le bordeaux rouge, c’est ringard. Style : « Quoi ! Ta cave est pour moitié composée de bordeaux ! Arrive au 21e siècle, pépère ! »
Il est vrai qu’avec les prix éhontés commandés par les plus prestigieux grands crus classés et tout le bling-bling qui y est associé, le jet-set, la chasse à courre et tout ça, on est plusieurs à en avoir ras le bol d’être les dindons de la farce.
Sauf que… tout Bordeaux ne rime pas avec vie de château et aristocrates à gogo.
Il s’en trouve, j’en ai rencontré quelques-uns, qui n’ont pas l’air tout frais débarqués des pages du Paris-Match. Des vignerons ordinaires, passionnés, pas nécessairement pauvres, n’exagérons rien, mais pas hyper-friqués non plus. L’impression, quand on arrive chez eux, d’être tout sauf à Bordeaux – au sens où on l’entend souvent, c’est-à-dire dans un lieu empreint de glamour et souvent aussi d’ostentation, qui Latour, qui Margaux, qui Haut-Brion.
[photo : Bruno Segond, vigneron du Médoc et amoureux du Québec, propriétaire du Château Lousteauneuf, dont on trouve le 2010 actuellement à la SAQ. ]
Parmi ces propriétés plus abordables, plus accessibles, beaucoup de crus bourgeois. Désormais obligés de passer par la certification chaque année, alors que leurs illustres congénères grands crus classés se reposent pour ainsi dire sur leurs lauriers – depuis 1855.
On retrouve ces châteaux qui font partie de l’Alliance des crus bourgeois pour l’essentiel dans le Médoc et le Haut-Médoc, ainsi qu’en appellation communale, par exemple à Margaux et à Saint-Estèphe.
Il y en a beaucoup de ces crus bourgeois, et même trop : en 2012, le dernier millésime qui a été certifié, pas moins de 267. On s’en réjouit, le choix est légion, mais est-ce que cela ne dilue pas l’image de marque, la crédibilité ? Je ne suis pas le premier à poser la question, et un certain débat s’est enclenché là-bas, au sein du regroupement.
DE SOLIDES AVANTAGES
Quoi qu’il en soit, le terrain de jeu est grand, l’amateur a l’embarras du choix. L’avantage principal, le prix. Alors que les quelque 60 grands crus classés commandent un prix moyen plutôt olé olé, celui des crus bourgeois est de beaucoup inférieur. Ici, au Québec, il se situe dans la fourchette 20 $ à 40 $, plus ou moins.
Autre immense atout : ils sont plus rapidement prêts à boire et néanmoins capables de vieillir une bonne dizaine d’années, voire plus. Témoin des 2005 goûtés sur place la semaine dernière ouverts, très convaincants, et des 2001 et 2000 tout à fait à point, encore bien en vie et en fruit.
[Photo : Véronique Courrian, du Château Tour Haut- Cassan (ses 2009 et 2010 sont à la SAQ), qui fait aussi une fameuse tarte au citron… ]
Tout ce qui précède ne revient pas à dire qu’il faut bouder les étiquettes bordelaises les plus prestigieuses, surtout si nos finances le permettent.
Mais un cellier bien construit, à côté de quelques grosses quilles à ouvrir lors d’occasions spéciales, contient tout plein de bons vins à la fois assez corsés, délicieusement tanniques, avec une acidité bien marquée et un mariage bois-fruit des plus réussis.
Pour ça, si on cherche, on n’hésite pas : la famille des crus bourgeois est toute trouvée.
À boire, aubergiste !
Parmi les crus bourgeois présentement disponibles à la SAQ et que j’ai goûtés, voici des suggestions.
Château La Branne 2009 : Un bon cru bourgeois du Médoc, concentré et charpenté, d’une savoureuse générosité. Prix (21 $) attractif.
Château d’Arche 2009 : Très bon bordeaux rouge, goûteux et aux tannins serrés, ainsi que d’une persistance notable.
Château Bernadotte 2009 : Corsé et généreux, bien soutenu par l’acidité et des tannins relativement serrés. Le bois est marqué, mais l’équilibre est là, ainsi qu’un certain potentiel.
Château Lestage 2009 : Relativement fin, concentré, aux tannins marqués mais de qualité, pas astringents. Le boisé est marqué, cela dit, soyez prévenus.
Château Loudenne 2010 : Serré et texturé, même relativement élégant, au boisé appuyé mais plutôt bien intégré. Déjà accessible, belle fraîcheur, et se conservera aisément jusqu’en 2020.
Château d’Escurac 2010 : Un médoc plus « sauvage » que, par exemple, le Loudenne, concentré et relativement tannique ainsi qu’un peu capiteux (14,5 % d’alcool). Bénéficiera d’être attendu encore deux ou trois ans.
Château Fonréaud 2010 : Fruit mûr au nez, excellente acidité en bouche, saveurs à peine corsées, légèrement astringentes, moyennement concentrées.
Château Lilian-Ladouys 2010 – le gagnant, avec son millésime 2012 de la toute dernière Coupe des crus bourgeois, et en passant, pour mémoire, on prononce la-dou-isse : Pour l’heure bien boisé, même très boisé, au point où l’on se demande si cela ne va pas s’assécher. Le nez est beau par contre, invitant, avec du fruit. Donnons-lui le bénéfice du doute.
Et maintenant, je triche, mais voilà, j’avais inséré ce rouge de l’Okanagan dans la série de crus bourgeois pour voir de quel bois il se chauffait et vu qu’il ne se cache pas de vouloir en quelque sorte imiter les bons rouges du Bordelais.
Résultat ? Pari tenu pour le Osoyoos-Larose Le Grand Vin 2010, l’un des beaux Osoyoos de ces dernières années, goûté au milieu de la série de bordeaux et qui n’a pas démérité. Beau fruit au nez et en bouche, mais boisé marqué, et concentration moyenne. L’équilibre et la fraîcheur demeurent, tout de même. Devrait se conserver encore trois ou quatre ans.
Bonne dégustation !
Marc
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