Harmonies, dissonances et cie
Hors des sentiers battus
par Marc Chapleau
J’ai vu d’étranges bouteilles que je crois contenir du vin, récemment, dans une épicerie. Avec des noms d’aliments écrits en gros sur les étiquettes et à peu près juste ça comme information…
Déjà qu’il y a eu naguère une levée de boucliers quand les Français avaient fait mine de laisser tomber les appellations pour les noms de cépages, histoire de simplifier les étiquettes et mieux concurrencer le Nouveau Monde, eh bien cette fois on va encore plus loin : jusqu’à gommer carrément la carte d’identité du vin.
Remarquez, en épicerie, ce n’est plus ce que c’était. On y trouve des crus très honnêtes, comme en témoigne le test que nous avons fait récemment au magazine Protégez-Vous. Sûrement même que ceux vendus par le sommelier François Chartier, ceux aux désignations invraisemblables et quasi exclusivement alimentaires, sont potables.
Le malaise n’est pas là, mais plutôt dans cette « culinarisation » à outrance, une tendance lourde amorcée voilà une vingtaine d’années. Comme si, parce que le vin se boit le plus souvent à table, tout devait tourner autour de son appariement avec les mets.
Je ne suis pas en train de dire, attention, qu’on peut boire n’importe quoi en mangeant n’importe quoi. Mais il suffit de maîtriser quelques règles de base pour s’en sortir la plupart du temps.
Alors un vin « Boeuf, Noix de Coco, Chocolat » (je pastiche et j’invente à dessein), non merci, aucun intérêt, j’ai déjà tout ça dans mon panier.
D’autant que ce type d’étiquette, ainsi libellé, ne fait que nous suggérer où devrait atterrir le vin, avec quoi dans l’assiette. Alors qu’à l’exact opposé, on aime en général d’abord savoir d’où il vient, le rattacher à un terroir, éventuellement une histoire, etc.
L’argument imparable à cette objection : les gens, demandez-le aux conseillers dans les SAQ, veulent d’abord et avant tout savoir quoi boire avec tel ou tel plat ; les cépages, les appellations, les particularités de telle ou telle bouteille, ça ne les intéresse pas vraiment.
Moralité : suivons le mouvement et proposons-leur des étiquettes délirantes annonçant du rosbif, des pâtes et des sushis en bouteille… Comme ça, le vin est réduit à la portion congrue, il devient un simple liquide pour mieux faire passer le solide.
Un procédé d’autant plus discutable que, posons-nous la question, à la maison, à table, les consommateurs s’attardent-ils seulement à constater si oui ou non l’accord en question fonctionne, s’il y a ou non création d’un faux goût, d’une sensation désagréable en bouche ? Ma main au feu que non, dans 99,9 pour cent des cas. Une fois rassurés au moment de l’achat, ils boivent ensuite à gorge déployée, sans vraiment goûter ni discriminer.
Autrement dit, l’information communiquée, même si elle peut par ailleurs s’avérer fondée et pertinente, ne leur est au fond d’aucune utilité.
Loin de les aider, toutes ces palabres autour des accords ne font qu’accroître la distance entre eux et le vin, que rendre ce dernier plus mystérieux. « Retenez “Agneau, Thym et Carotte”, bonnes gens, c’est un excellent vin, ne posez pas de questions. »
J’aurais pour ma part envie de dire aux consommateurs de laisser couler, plutôt, libérez-vous du carcan des accords prémâchés. Si vous y tenez, contentez-vous par exemple d’apparier la couleur du vin à la couleur du plat, dans les grandes lignes. Vous serez surpris : ça fonctionne très souvent.
À boire, aubergiste !
À présent, une série de bonnes bouteilles goûtées récemment, et provenant d’un peu partout sur la planète Vin.
Maintenant, qu’on règle une certaine question tout de suite : vous prendrez les blancs à l’apéro, pour eux-mêmes, ou sinon avec des bouchées ou des fruits de mer. Avec les rouges, pas difficile : n’importe quelle viande grillée, rouge ou même blanche, et le tour sera joué. Voilà.
Pas de quoi. ~
Des bulles et des blancs, d’abord. En provenance du Luxembourg, ce qui n’est pas coutume, le Crémant Poll Fabaire Brut se distingue par son caractère fin et nerveux. Un saut en Alsace et voici le Pinot Blanc/Muscat Bestheim 2013, un bon assemblage marqué par le tabac blond au nez suivi de saveurs relativement concentrées.
D’Italie, le Verdicchio Dei Castelli di Jesi Velenosi 2013, malgré son nom un peu long, s’avère à la fois généreux et rafraîchissant. On quitte les Marches et on remonte plus au nord pour aboutir au Piémont avec le Beni di Batasiolo Gavi del Commune di Gavi 2013, assez corsé tout en étant bien soutenu par son acidité.
Du côté des rouges, on s’accroche à l’Italie avec, pour commencer, le Masseria Setteporte 2010, un délicieux rouge sicilien aux accents bourguignons. Plus costaud et plus boisé tout en demeurant équilibré, on a le Velenosi Brecciarolo Gold 2011, une valeur sûre année après année.
De Toscane, j’ai bien aimé le Altesino Rossi di Montalcino 2012, qui marie habilement le bois et le fruit. Enfin, de Sardaigne, cette île qui voisine la Corse, le classique Sella & Mosca Cannonau di Sardegna Riserva 2010 arbore déjà une certaine patine, il est souple, fondu et savoureux.
Santé !
Marc
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