Hors des sentiers battus avec Marc
Nature ou culture ?
par Marc Chapleau
Le sujet revient périodiquement sur le tapis, surtout ces dernières années, avec l’éclosion des vins bio et sinon sans soufre, du moins peu sulfités. Il y aurait ainsi une telle chose que du vin spécifiquement « nature », laissant donc sous-entendre que tous les autres vins sont de facto artificiels.
Sottise, évidemment. Quoique, oui, bien sûr, tous les vins sont « artificiels » dans la mesure où ils résultent d’une intervention humaine et planifiée. Sinon, on le sait, laissé à lui-même, le jus de raisin devient du bon vieux vinaigre…
Mais pour commencer, voici la définition de vins « nature » ou « naturels » proposée par le site vinsnaturels.fr :
« Le vin naturel ou vin nature est le résultat d’un choix philosophique visant à retrouver l’expression naturelle du terroir. Il est issu de raisins travaillés en agriculture biologique, sans désherbants, pesticides, engrais ou autres produits de synthèse. Les vendanges sont manuelles et lors de la vinification le vigneron s’efforce de garder le caractère vivant du vin. Les interventions techniques pouvant altérer la vie bactérienne du vin sont proscrites, ainsi que tout ajout de produit chimique, à l’exception, si besoin, de sulfites en très faible quantité. »
La grande majorité des vins « nature » ou « naturels » sont en effet agrobiologiques. Et les meilleurs d’entre eux ont une pureté de fruit renversante, ils donnent l’impression de boire du jus de raisin fraîchement pressé, de communier à l’authenticité. Tous n’aiment cependant pas nécessairement, le caractère épuré s’accompagnant entre autres souvent d’une acidité marquée, voire mordante.
Cela dit, les vins « nature » peuvent aussi être exécrables, infects même. Le défaut le plus criant, probablement le plus répandu : il arrive qu’ils puent.
Très peu manipulés, peu soutirés, peu oxygénés, ils ont alors les défauts de leurs qualités : ils sentent le renfermé, le pet, la flatuosité. C’est gênant, je sais, mais hé ! il faut bien appeler un chat un chat – c’est d’ailleurs l’une des premières choses que l’on nous apprend dans les cours de dégustation, de ne pas censurer ses impressions.
En toute justice, précisons qu’une vigoureuse oxygénation, tel un passage en carafe, peut dissiper la mauvaise odeur et rendre le vin plus attrayant.
SE DISTINGUER DE LA VIEILLE GARDE
La popularité de ces vins particuliers semble avoir coïncidé, au Québec du moins, avec l’arrivée en masse de nouveaux amateurs, démocratisation du vin aidant.
Alors que leurs aînés s’étaient entichés de bordeaux, de bourgognes et de grands vins toscans, plusieurs nouveaux venus dans le monde du vin, en gros depuis le début des années 2000, ont d’abord choisi de marquer leur différence.
« On a envie de tout sauf de vins convenus », aurait pu être leur devise. La qualité première d’un vin n’était plus de goûter ceci ou cela, ou de pouvoir se bonifier tant d’années dans le cellier ; l’important, c’est surtout l’état d’esprit, la philosophie poursuivie par celui ou celle qui l’a produit. Qu’il soit gustativement bon ou non devient souvent accessoire. Ou sinon, on en vient à valoriser des caractéristiques qui témoignent du fait que le vin a été élaboré de manière très peu interventionniste : odeur bizarre tout sauf fruitée, restant de gaz carbonique, couleur trouble.
À dessein, je caricature et mets tout dans le même panier. Encore une fois, tous les vins qui se réclament de cette philosophie ne sont pas rebutants, au contraire. Et tous parmi mes confrères et consoeurs, et notamment ici même sur Chacun son vin, ne partagent pas non plus mes vues sur la question.
Ce que je recherche, pour ma part, dans une bouteille ? Quelque chose qui goûte bon, tout bêtement. D’où que provienne le vin et peu importe qui l’a fait, que la personne soit elle-même « nature » et post-post-hippie, ou qu’il ou elle voyage en jet privé, comme donnent parfois l’impression de le faire les grands producteurs bordelais…
Courte vue ? Aveuglement volontaire ? Sûrement, oui.
NATURELLEMENT BONS
Sur le moteur de recherche saq.com, si on tape « Nature » on obtient deux vins rouges (et une dizaine de champagnes, pour lesquels cela signifie que le mousseux est très peu ou pas du tout dosé) qui portent ce nom : Perrin Nature, un côtes-du-rhône, et Pyrène Nature, celui-là en coteaux-du-quercy, dans le sud-ouest de la France. Ni l’un ni l’autre ne sont des vins « naturels » au sens où l’entend cette mouvance. La grande majorité de ces derniers sont en effet vendus en importation privée, et on les retrouve souvent à la carte des restaurants.
Ce qui, dans la viticulture conventionnelle, se rapproche probablement le plus des vins « nature », ce sont entre autres les vins d’Henry Marionnet, du domaine de la Charmoise, en Touraine. Sur les rayons de la SAQ en ce moment, on trouve le Gamay 2013 Domaine de la Charmoise, à 18,45 $, ainsi que le Vinifera Gamay Franc de pied 2012 , celui-là à 23,55 $.
Deux rouges peu sulfités, peu corsés, légers même, peu alcoolisés (environ 12 %), pur fruit et pur plaisir. À découvrir !
Également à considérer, d’autres vins principalement axés sur le fruit, sans fioritures, naturellement très bons : en blanc, de la Loire, le Attitude Sauvignon Blanc 2013 Pascal Jolivet (17,75 $) puis, en rouge et de Vénétie, le Inama Carmenère Piu 2010, à 20,95 $.
P.-S. L’occasion sera belle, lundi qui vient, de vous faire une tête, comme on dit, à propos des vins « nature » : on devrait en effet en trouver plusieurs exemples au salon des importations privées de la Raspivav, qui se tiendra au marché Bonsecours, à Montréal.
Marc Chapleau
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