Les bons choix de Marc – Août
Chroniques chablisiennes — 1
par Marc Chapleau
J’arrive de Chablis. En fait, non, cela fait déjà trois semaines que je suis de retour. Sauf que je n’en suis pas revenu, au propre comme au figuré. Moi qui adorais ce grand vin blanc de Bourgogne, je suis devenu mordu au dernier degré. Non mais, quels beaux vins ! Quelle superbe acidité ! Et ce vignoble au sol si particulier, ces vignerons sympathiques au possible, cette délicate austérité chablisienne dans un monde qui se complaît dans les gros degrés et le sucré…
Mais il y a tant à dire que je vais décliner Chablis en plusieurs temps, à travers divers thèmes. Et en deux mouvements : d’abord aujourd’hui puis avec un autre texte normalement ce vendredi. À chaque fois, je vous aiguillerai vers de bons chablis disponibles à la SAQ, à différents prix.
Aussi, je vous dirige d’entrée de jeu vers un site fiable pour obtenir les informations de base, pour connaître l’a b c de la région et de ses terroirs.
1. LA FAMEUSE MINÉRALITÉ
Hum… Sujet délicat, en ce sens que personne ne s’entend vraiment sur ce que recoupe cette notion, laquelle s’impose néanmoins souvent d’elle-même, à la dégustation. Chose certaine, la minéralité est intimement liée à l’acidité marquée du vin, à l’énergie et à la tension qui l’habite — ou plutôt, plus exactement, qui le sous-tend.
On parle de salinité aussi, souvent, d’astringence également. On a tous entendu parler de silex, de pierre à fusil, des arômes tous deux censément en lien avec cette fameuse minéralité.
L’excellente cave coopérative La Chablisienne a d’ailleurs consacré une brochure entière à ce seul sujet. Deux morceaux choisis : « L’idée de minéraux puisés dans la roche et qui passeraient directement dans le vin pour se laisser sentir et goûter ne tient pas vraiment la route » et « Quant à la pierre à fusil, [il s’agit d’une] molécule qui n’a rien de minéral et que l’on classerait davantage dans les arômes […] de type “grillé” ou “brûlé”. »
Encore a-t-il fallu que je le suce…
Autre certitude : les producteurs eux-mêmes y croient, ou du moins font-ils souvent écho à cette réalité. Exemple, cette petite conversation qu’on a eue là-bas, un vigneron et moi :
— Il y a du gras et en même temps c’est très minéral, dis-je à mon interlocuteur.
— Merci, merci, répond-il, et oui, comme vous dites, on a vraiment l’impression de sucer le caillou !
Sucer le caillou… Je comprenais très bien ce qu’il voulait dire, cette sensation d’assèchement pas du tout désagréable et qui se trouve en fait à rajouter une couche au vin, à accroître sa complexité.
Par ailleurs, ce n’est pas pour me vanter mais j’ai déjà tété comme ça une grosse roche prélevée dans le vignoble. C’était en Bourgogne, dans le Mâconnais, avec l’un des frères Bret que j’interviewais à l’époque pour l’ancien magazine Cellier.
Et puis ? Et puis… ça ne goûte strictement rien, hormis peut-être la poussière si on ne prend pas soin de polir le caillou avant de le lécher. J’ai même ça sur vidéo ! Si vous êtes nombreux à en faire la demande, je tâcherai de m’organiser pour mettre ça sur YouTube, tiens. Sinon tant pis, moi je sais que je crève l’écran, en tout cas
2. VIEILLIRA, VIEILLIRA PAS ?
Le discours surprend. Alors qu’à peu près partout ailleurs dans les grandes régions vinicoles, les vignerons disent que leurs vins peuvent durer, ô mon vieux ! quinze, vingt voire trente ans quand ce n’est pas un demi-siècle, ici, à Chablis, on nous dit qu’un premier cru est à son apogée à environ cinq ans. Oui monsieur ! On affirme aussi qu’un chablis tout court livre l’essentiel de ses promesses après deux ou trois ans. Même les grands crus seraient à cueillir au bout de huit à dix ans maximum.
Ce qui se passe, en gros, c’est que passé ces délais, les chablis ont tendance à mieller — autrement dit, à voir s’étioler au nez leur côté floral et fruité pour arborer des notes évoquant plutôt le miel, même le caramel. Ce n’est pas désagréable, loin de là ; sauf que le dégustateur a parfois l’impression de perdre au change, et nommément en fraîcheur.
« Quand vous tombez sur ce côté miellé, oubliez le vin pour un temps, ouvrez-en une autre bouteille quelques années plus tard et vous verrez, il aura retrouvé cette fraîcheur dont vous parlez », de répondre à cela Vincent Dauvissat, du domaine éponyme.
Attention aux caves trop chaudes ?
Autre son de cloche, cette fois de Didier Séguier, maître d’oeuvre au domaine William Fèvre, l’un des gros joueurs de l’appellation : « Le chablis, de par sa nature délicate, demande à être conservé dans une cave fraîche. Au-dessus de 18 degrés Celsius, sa durée de vie est réduite. »
Oups ! Et ma propre cave qui monte à 20 degrés l’été, des fois même 21… Si bien qu’à mon retour, la semaine dernière, le coeur battant, très anxieux, j’ai ouvert coup sur coup un Vaillons et un Fourchaume de chez Fèvre, justement, et tous deux du millésime 2008.
Résultat : mon cher Didier, avec tout le respect que je vous dois, vos vins étaient et sont encore toujours excellents et même dans la fleur de l’âge, pas du tout miellés.
À boire, aubergiste !
Assez parlé. La prochaine fois, dans quelques jours comme je disais, j’aborderai notamment la question du bois à Chablis, des millésimes, des accords à table et des tendances de l’heure, comme ce fameux bouchon Diam.
Entretemps, je propose d’y aller graduellement et de se faire la bouche avec de très bonnes bouteilles d’entrée de gamme. Pour commencer, trois « petit-chablis », une appellation dont je parlerai vendredi.
D’abord le Domaine d’Élise Petit Chablis 2012, d’une réjouissante légèreté, puis le Laroche Petit Chablis 2013, plus tropical au nez mais bien nerveux et bouché, bon point pour lui, au moyen d’une capsule dévissable. Enfin, le Petit Chablis Domaine Millet 2012 est peut-être le plus typé chablis des trois, le plus austère et le plus mordant, vraiment très bon.
Du côté des chablis d’appellation communale, et dans le millésime 2011 cette fois, difficile de passer à côté du La Chablisienne La Sereine, année après année l’un des sinon le meilleur rapport qualité-prix en vins de Chablis. Également très recommandables, bien typés eux aussi, le Domaine Louis Moreau Chablis 2012 et le William Fèvre Chablis Champs Royaux 2012.
Enfin, peut-être une légère coche au-dessus, les Domaine Séguinot-Bordet Chablis 2012 et Drouhin-Vaudon Chablis 2012 brillent dans ce millésime superlatif ; ce dernier, élaboré par les soins de la famille Drouhin de Beaune, faisant preuve de l’élégance typique des vins de cette fameuse maison.
Santé !
Marc
Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 30 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de bons vins!