La Rolls et la GTI

Hors des sentiers battus19 nov 2015

par Marc Chapleau

Marc Chapleau

Marc Chapleau

Cette semaine, en plein Salon du livre et après avoir récemment parlé de bouquins français, je m’attarde à deux guides québécois sur le vin qu’il me serait bien difficile de critiquer.

Pas parce que le milieu est tissé serré et que tout notre monde est plus ou moins copain : plutôt parce que tant le Guide du vin Phaneuf 2016 — Nadia Fournier (29,95 $) que le Guide des Méchants Raisins (24,95 $) sont drôlement bien ficelés.

Je m’intéresse à ces deux-là malgré qu’on trouve aussi sur le marché, entre autres, le Lapeyrie ainsi que le d’ordinaire fiable Guide Aubry. La raison ? Le Guide Phaneuf est le plus vieux sur le marché, tandis que le rejeton du trio Désy/Langlois/Turbide commence à peine à babiller. L’ancien et le nouveau.

Autre contraste particulier, le précurseur parmi les guides sur le vin, publié depuis 35 ans, est aujourd’hui l’oeuvre de ma collègue Nadia Fournier, elle-même un an plus jeune. Tandis que dans l’équipe des Méchants Raisins du Journal de Montréal, il y a le confrère Claude Langlois, qui, « après bientôt 30 ans de chroniques derrière le gosier », en est à son tout premier bouquin, lui qui a passé le cap des 67 ans !

LUXE, CALME ET AUTORITÉ

Devoir comparer les deux ouvrages à des automobiles, je dirais que Nadia est aux commandes d’une Rolls-Royce alors que le trio de joyeux drilles nous invite à bord d’une Golf GTI, avec leur style alerte et fringant, ludique même, par moments.

Les guides

Depuis le début, le Guide du vin Phaneuf rime en effet avec luxe, calme et autorité. Le contenu est impressionnant, la finition irréprochable et la tenue de route, on ne s’inquiète pas, fermez les yeux, vous êtes on ne peut plus en voiture…

Nadia Fournier, depuis cinq ans, signe seule l’ouvrage annuel. La transition s’est faite imperceptiblement, l’essentiel de ce qui distinguait la bible du pape québécois du vin a été maintenu et l’héritage de ce dernier, préservé. Nadia devait pourtant chausser d’immenses souliers, de véritables bottes de sept lieues. Au début, je m’en confesse, je me suis demandé moi aussi si elle gagnerait le pari… Or non, ou plutôt oui : le flambeau continue d’être porté. Avec, dans l’ensemble, la même approche, la même rigueur cartésienne, le même type de contenu, le même sérieux.

Parmi ces choses qui n’ont pas changé depuis 1981, la notation dans la catégorie, qui fait, et Nadia l’assume bille en tête, qu’un petit vin à 12 $ peut se voir attribuer exactement le même score qu’un très grand vin à 200 $.

LA RECHERCHE DE L’ABSOLU

C’est d’ailleurs là une des grandes différences avec l’approche des Méchants Raisins, qui eux notent dans l’absolu. Si bien, comme ils l’écrivent, « qu’un petit malbec argentin à moins de 15 $ a beau être le meilleur de sa catégorie, il n’aura pas pour autant une note équivalente à celle d’un grand cru de Bordeaux. Ce super-malbec pourra recevoir 15 points [sur 20], mais pas les 18 ou 18,5 obtenus par le grand cru. » On sent que les boys tiennent à mettre les points sur les i et à se distinguer, notamment, de leur estimée consoeur.

Sur le plan de la forme, le Guide des Méchants Gamins — pardon, des Méchants Raisins — innove, jusqu’à un certain point. Sur un ton désinvolte, leurs suggestions sont regroupées à l’intérieur d’une soixantaine de listes, ma foi, plutôt amusantes. Exemples : Cinq vins pour les sushis, Dix vins pour épater le beau-frère, Cinq producteurs québécois à suivre dans le monde, Dix vins glougou qu’on boit sans retenue, à acheter à la caisse et Les cinq, non les deux meilleurs vins vendus en « vinier »

Par ailleurs, on aura compris que les divers textes de présentation, courts et punchés, ont été écrits à six mains, collégialement. Même chose semble-t-il pour les notes de dégustation. Or tout coule, on ne sent pas le jupon de l’un ou l’autre auteur qui dépasse. Chapeau pour la coordination éditoriale !

Autrement, pour ce qui est du fond, les deux ouvrages atteignent le même but : proposer et décrire des centaines de bons vins parmi ceux en vente à la Société des alcools – et ainsi guider le consommateur, qui ne s’y retrouve pas toujours, tant l’offre de vin est abondante, au Québec.

P.-S. Tant Nadia Fournier que les coauteurs Claude Langlois et Mathieu Turbide sont ces jours-ci au Salon du livre de Montréal, pour dédicacer leurs ouvrages. Jean Aubry, du Devoir, y sera aussi. Profitez-en, si vous passez par là, pour leur piquer une jasette, sans retarder la file, bien sûr 😉

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À boire, aubergiste !

Les attentats que l’on sait étant encore sur toutes les lèvres, on sera raccord, cette semaine, avec que des vins français parmi les recommandations. On sera aussi d’accord, car même si je n’ai pas vérifié si Nadia ou Claude, Mathieu ou Patrick ont aimé eux aussi, qu’importe, c’est évidemment moi qui ai raison et si je vous dis que c’est bon…

Jean-Claude Boisset Bourgogne Aligoté 2013 — Un très bon aligoté, aux arômes fumés et un brin miellés. En bouche, le vin est mi-corsé et bien nerveux, presque vif même, et la persistance est notable. (21,60 $)

Les Fiefs D’aupenac 2012, Ac Saint Chinian Roquebrun —  Ouf ! J’ai eu peur : le bouchon sentait le liège, ce qui d’ordinaire n’est pas bon signe, cela doit sentir le vin. Mais voilà, le nez dans le verre ça sent bon la syrah, le bacon un peu, peut-être la violette aussi, allez ! En bouche, c’est corsé, assez rond, riche, savoureux. (21,80 $)

Jean Claude Boisset Aligoté Bio Ecocert 2013 Cave De Roquebrun Les Fiefs D'aupenac 2013 Château Mont Redon Lirac 2013 Domaine Des Rabichattes Pouilly Fumé 2014

Château Mont-Redon Lirac 2013  — Un assemblage de grenache (70 %), syrah (20 %) et mourvèdre (10 %) un peu réduit au premier nez, des notes boisées ensuite, et plein de fruit rouge à l’arrière, en sourdine pour le moment. En bouche, ce rouge du sud du Rhône est corsé et un brin tannique, cependant que les saveurs sont relativement serrées. (23,20 $)

Domaine des Rabichattes Pouilly-Fumé 2014  — Un sauvignon de la Loire plein de vivacité, presque tranchant, bien sec c’est dire, quoiqu’il y ait du gras dans la texture, le vin a une certaine épaisseur. Un bon rapport qualité-prix, qui ira bien avec les huîtres nature, sur écaille. (24,95 $)

Jean-Claude Boisset Bourgogne Pinot Noir les Ursulines 2013 — Bon bourgogne rouge d’entrée de gamme, typé, relativement corsé ainsi qu’astringent, mais le vin n’est pas mince et il a une certaine mâche, bien qu’il demeure léger et plutôt acidulé. (23,70 $)

Delas Crozes-Hermitage Les Launes 2013  — Très syrah au nez, fumé, bacon, l’ensemble est vraiment engageant. La bouche suit, avec une bonne profondeur de fruit mais aussi un peu d’astringence, apportée par la barrique ou la minéralité. Bénéficierait de deux ou trois ans de garde supplémentaire, bien qu’il se goûte déjà très bien. (25,15 $)

Jean Claude Boisset Bourgogne Les Ursulines 2013 Delas Les Launes Crozes Hermitage 2013 Château Lacour Jacquet Haut Médoc Cru Bourgeois 2010 Château La Forchetière Muscadet Côtes De Grandlieu 2014

Château Lacour-Jacquet Haut-Médoc Cru bourgeois 2010  — Bordeaux rouge solidement constitué, dans un millésime qui a doté les meilleurs vins d’une tonifiante acidité. Celui-ci est relativement tannique, et l’amertume est prononcée. Mais à la bonne heure : la matière est là, c’est vibrant, et avec une viande rouge, ou moyennant quatre ou cinq ans de garde, le baraqué se sera amadoué. Et le prix, en passant, est très bon : 25,40 $.

Château de la Forchetière Muscadet Côtes de Grandlieu 2014 — Une médaille d’or à Paris (2015) au Concours général agricole, cela met en confiance. À la bonne heure ! Le vin est sec, nerveux, et avec un soupçon de gaz carbonique qui avive les saveurs. Notes d’agrumes et de fruit mûr (l’ananas ?) en rétro-olfaction. Franchement, à 16,60 $, une aubaine !

Santé !

 

Marc

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